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qui, lui du moins, a mérité toutes ses injures posthumes, ressentit ce qu’ajoutent d’aiguillons à la haine les apparences obligées du dévouement. Il accepta ce supplice, parce qu’en demeurant inébranlable dans ses antipathies et bien plus encore dans ses idées, ce seigneur portait dans sa conduite une souplesse dont, contrairement à l’opinion commune, il y aurait à signaler dans le cours de sa vie l’excès plus que le défaut. Il fut l’ennemi le plus implacable, mais certainement aussi le plus prudent du cardinal. Rien ne trahit dans leurs rapports quotidiens le dégoût profond que ne pouvait manquer d’inspirer au duc cette fortune aussi humiliante pour le prince qui en était l’auteur que pour la société qui la voyait s’élever ; il est même permis de penser que Dubois pouvait se croire autorisé à compter de la part de Saint-Simon sur des sentimens très différens. L’une des scènes les plus piquantes de cette longue comédie est assurément celle où l’écrivain nous montre Bellisle, émissaire de Dubois, attendant avec anxiété dans l’antichambre du régent la sortie de Saint-Simon, qui s’est fait fort près du cardinal, sur les pressantes instances de celui-ci, de lever les dernières hésitations du duc d’Orléans relativement au titre de premier ministre, et qui, après avoir vainement employé deux longues heures à détourner le prince de cette résolution dont il lui signale la honte et les périls, ouvre la porte du cabinet, avise Bellisle et lui coule dans l’oreille « qu’enfin l’affaire est faite et tout sur le petit bord d’être déclarée. »

Pour assouplir à ce point la hauteur du duc et pair et la loyauté du gentilhomme, il fallait à coup sûr que Saint-Simon eût, en désespoir de cause, transigé avec sa propre ambition en acceptant un rôle subalterne. Il fut en effet peu compté dans les principales affaires de cette époque si féconde en tentatives, en avortemens et en ruines. Beaucoup moins important dans l’administration intérieure que le duc de Noailles, chef du conseil des finances, peu initié aux intérêts diplomatiques, réservés au maréchal d’Uxelles jusqu’à ce que Dubois, grandi par son ambassade en Angleterre, en eût pris seul la direction, Saint-Simon n’eut d’action sensible ni dans les transactions qui fixèrent alors le sort de l’Europe, ni dans les crises financières amenées par les premières applications du crédit. Si l’on excepte une pompeuse mission en Espagne pour y signer le double contrat de mariage de la jeune infante avec Louis XV et de la fille du régent avec le prince des Asturies, son rôle politique durant la régence se réduisit aux agitations parlementaires provoquées par la querelle du bonnet et par la lutte des princes du sang contre les légitimés. La brillante sinécure de Madrid lui fut accordée pour le mettre en mesure de réaliser l’un de ses vœux les plus chers en obtenant de Philippe V une grandesse pour son second fils. Le