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une horreur si profonde pour les parlemens et les exemples de la factieuse Angleterre, que le seul remède licite et efficace à opposer, selon lui, aux abus trop certains du pouvoir absolu des rois, c’est, en leur maintenant durant leur vie l’intégrité de leur puissance, de ne pas permettre que celle-ci leur survive un seul jour dans aucun acte de nature à engager après eux l’avenir. En conservant la plénitude du pouvoir absolu, il le transforme en pouvoir viager, et ne dénie pas moins aux monarques le droit de passer des traités perpétuels que celui de contracter, au détriment des générations nouvelles, des obligations financières destinées à leur survivre. La couronne n’est selon lui qu’un fidéicommis, absolu dans son usage, mais limité dans sa durée par la vie même du prince qui l’exerce. « Conséquemment, tout engagement pris par le roi prédécesseur périt avec lui et n’a aucune force pour le successeur, et nos rois paient le comble du pouvoir qu’ils exercent durant leur vie par l’impuissance entière qui les suit dans le tombeau… Ces raisons prouvent avec évidence que le successeur à la couronne n’est tenu de rien de tout ce dont son prédécesseur l’était, et que, par le fidéicommis et la substitution, la couronne lui a été réservée pure, nette, franche, libre, et quitte de tout engagement précédent. »

Si cette naïve théorie du despotisme périodiquement tempéré par l’anarchie présente pour Saint-Simon quelques légères difficultés en matière d’engagemens internationaux, elle n’en suscite aucune dans son esprit en matière de finances. La banqueroute lui apparaît comme une solution aussi légitime que radicale. Cependant, comme une pareille mesure doit affecter d’innombrables intérêts, il n’aimerait pas à en laisser peser sur la régence la responsabilité tout entière. Les états-généraux sont à la fois très puissans et très redoutables : double motif pour s’en servir et pour les compromettre. L’occasion lui semble donc unique pour les convoquer, afin qu’ils aient eux-mêmes à prononcer solennellement la banqueroute en vertu du grand principe de la substitution monarchique. Il ne doute ni de leur empressement ni du succès, pourvu que le régent soit résolu à mépriser toutes les clameurs, « car les états-généraux sont presque tous composés de gens de province des trois ordres, surtout du premier et du dernier ; presque tous ceux sur qui porte cet immense fardeau des dettes du roi sont de Paris ; la noblesse des provinces n’en a point ou presque point fait hors de son pays, et ne tient point aux créanciers du roi, qui sont tous financiers établis à Paris et roturiers richards de la même ville, gens à n’être point députés pour le tiers-état. Par conséquent la grande pluralité des trois ordres aura un intérêt personnel, et pour leurs commettans, à préférer la banqueroute à la durée et à toute augmentation