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Saint-Simon le couvre par sa probité contre la calomnie, tout en flétrissant des vices dont ses ennemis aspirent à faire sortir la démonstration de tous les crimes. Ce fut assurément le plus grand jour de la vie du jeune duc et pair, car il eut l’honneur et le courage de faire ce qu’aucun autre n’aurait osé sans se perdre.

Personne n’eut plus que Saint-Simon l’aperception vive et continue des maux de la France aux dernières années de Louis XIV. Quoiqu’il vive dans un monde pour lequel les libéralités royales atténuent sensiblement l’effet des misères publiques, il n’ignore pas que la population s’épuise, que les terres restent en friche, que l’impôt dévore le capital et dépasse dans la plupart des généralités les forces des contribuables ; il pressent donc et va parfois jusqu’à prédire de prochaines perturbations. Seulement, lorsqu’à la gravité de ces maux on oppose la futilité des remèdes qu’il propose d’y appliquer, on éprouve un étrange étonnement, pour ne pas dire une sorte de confusion douloureuse. Humilier les présidens à mortier, obtenir le droit de traverser diagonalement le parquet et ramener les légitimés à leur rang de pairie, retirer à trois maisons les honneurs usurpés de princes étrangers, rendre enfin à vingt familles des honneurs sans pouvoir, en concédant tout à leur vanité sans rien réclamer pour leur légitime importance, si ce ne sont pas là les seules vues politiques développées par Saint-Simon, elles sont du moins les seules qui aient puissance de le passionner, et dont il rêve la réalisation au jour prochain des réparations et des grandes justices.

Ainsi ne procède pas un homme qui se plaçait dans le même temps à un point de vue assez conforme à celui de Saint-Simon. Lorsque le comte de Boulainvilliers déplore l’abaissement de l’aristocratie conquérante des Gaules, et qu’il l’impute à crime à la complicité des rois avec les serfs qu’elle a vaincus, lorsque, dans sa langue quasi factieuse, il revendique pour « les seuls maîtres légitimes du sol » la plénitude du pouvoir politique et administratif, dont la création des intendances a fait disparaître jusqu’à l’ombre, c’est à Richelieu, à Henri IV, à Louis XI et jusqu’à saint Louis qu’il fait remonter ses anathèmes. L’auteur de l’Ancien Gouvernement de la France ne croit pas que tant et de si vieilles questions puissent être résolues par quelques humiliations infligées à M. du Maine et par certaines réformes du cérémonial. Les spasmes que fait éprouver à Saint-Simon un carreau déplacé à la chapelle, un siège changé à la grand’chambre, la vue d’un tabouret à dossier ou d’une voiture drapée, cette ardeur effrénée avec laquelle il poursuit tous les signes extérieurs de la puissance sans s’inquiéter jamais de ses attributions effectives, rien de ce drame humoristique ne se retrouve dans les didactiques écrits du rude gentilhomme normand ; mais lorsqu’on prononce le nom