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Maintenon une guerre qui, par ses fureurs de mauvais goût, est restée l’une des taches de ses écrits comme de sa vie. Lorsque personne n’ignore que le pouvoir est concentré dans un cabinet où il ne trouve aucun accès, il s’agite pour empêcher la retraite de Chamillart et pour faire donner les finances à Desmarets, à ce point qu’aux jours de crise ministérielle la galerie de Versailles devient pour lui ce qu’a été longtemps la salle des conférences pour les mouches du coche parlementaire. Saint-Simon prépare pour la mort prévue du roi d’innombrables projets de gouvernement ; à chaque ministre, il donne des plans de sa main, dans lesquels apparaissent, avec des développemens chaque jour plus hardis, les idées qui l’obsèdent.

Un moment il parut près de toucher au but de ses plus chères espérances. Le duc de Bourgogne avait remarqué, au milieu du bruyant essaim des courtisans, ce seigneur grave et laborieux dont l’estime de son gouverneur lui garantissait l’inviolable discrétion. Il lui demanda des notes pour aider au développement des pensées réparatrices qui fermentaient dans son noble cœur ; mais c’est ici qu’éclate l’amortissante influence des institutions sur les êtres les mieux doués, et qu’on reste stupéfait de rencontrer un homme si fort au-dessous de lui-même. Admis à quelques entretiens secrets, Saint-Simon n’en profita guère que pour relever l’importance de la dignité ducale et pour attaquer le rang des maisons de Lorraine, de Rohan et de Bouillon, ses trois bêtes noires. Ce commerce devenait plus étroit chaque jour, lorsque la mort se prit à frapper au palais de Versailles ces grands coups dont l’écho ne retentit nulle part avec un éclat plus funèbre et plus magnifique que dans le volume consacré aux catastrophes de 1712. C’est là que coulent de source ces lacrymœ rerum qui ne jaillissent pas moins du fond des choses que d’une douleur personnelle où viennent s’abîmer tant de rêves ardemment poursuivis.

Après la mort de l’incomparable dauphin, Saint-Simon n’a plus dans la maison royale qu’une seule affection. Lié de jeunesse avec le duc d’Orléans, dont il fut le conseiller sévère autant que le serviteur fidèle, il lui adresse chaque jour en Italie et en Espagne des projets et des observations qu’une correspondance secrète développe et corrobore. Saint-Simon triomphe avec une sorte de modestie personnelle des premiers succès du prince ; mais lorsqu’à sonné pour le brillant neveu de Louis XIV l’heure de l’épreuve, quand des trépas mystérieux semblent le pousser vers le trône, et que le soupçon s’élève contre lui à mesure qu’il en monte les degrés, au moment où une étoile fatale paraît le vouer à la fois à la royauté et à l’horreur publique, demeuré seul près du malheureux prince dans ce palais où l’épouvante arrête jusqu’aux empressemens de l’ambition,