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sa jeune femme, conjurèrent les premiers mécontentemens du roi : il pénétra dans les cercles de l’abord le plus difficile, à l’exception toutefois de celui de Mme de Maintenon. Il fut de la plupart des voyages de Marly, et eut deux ou trois fois, en vingt années d’une résidence à peine interrompue, l’honneur de tenir le bougeoir au coucher, faveur qui se comptait beaucoup, « tant le roi avait l’art de donner l’être à des riens ; » mais ces distinctions clairsemées ne donnèrent point le change à Saint-Simon sur une indifférence qui, de toutes les tortures, était peut-être la plus sensible à son orgueil. L’état habituel du duc à Versailles était une contrainte déguisée à laquelle correspondait de la part de Louis XIV une réserve allant parfois jusqu’à la suspicion relativement à ce jeune homme, qui passait pour fort savant en histoire, qu’il soupçonna peut-être de jansénisme malgré des liaisons très habilement cultivées avec les pères Lachaise et Tellier, et dont il entendait parler à propos de toutes les querelles cherchées sur les rangs et des fastidieuses discussions des ducs avec les présidens à mortier.

La nullité dans laquelle s’écoulait sa vie, le vide au sein duquel se débattait sa forte intelligence, avaient donné à Saint-Simon, malgré la parfaite élégance de ses manières, quelque chose de l’âpreté querelleuse du gentillâtre gascon et de la verve processive du Bas-Normand. Il était arrivé, par une série d’idées que nous apprécierons bientôt, à croire représenter à peu près seul en France, en face du despotisme, un grand principe modérateur oublié, et s’était fait par conscience le procureur de la pairie jusqu’à emprunter aux suppôts de la basoche leur humeur acariâtre et leur hargneuse subtilité.

Saint-Simon n’entretint le roi que trois ou quatre fois dans sa vie, et ce fut toujours à propos de ces difficultés de préséance, où son nom ne manquait jamais d’être cité tout le premier. Ces entretiens furent courts et bienveillans, mais de cette bienveillance banale qui laisse comprendre qu’on est encore plus éloigné de la faveur que de la haine. Éloigné des affaires publiques malgré son intimité avec Chamillart, il s’efforça de se créer une importance de second rang en devenant, faute de mieux, intermédiaire entre les personnages les plus comptés de la cour, et le rare, pour lui emprunter un de ses mots, fut qu’il joua toute sa vie sans efforts et sans répugnance, paraît-il, le rôle le moins conforme à sa fière nature. On le voit travailler avec ardeur à la réconciliation du duc de Beauvilliers et du chancelier de Pontchartrain, qui, bien qu’assis tous deux au conseil du roi, ne se parlent jamais hors de la présence du monarque. Il ne déploie pas moins d’activité pour raccommoder MM. de Beauvilliers et de Chevreuse avec le duc de Noailles, en attendant l’heure d’ouvrir, sous la régence, contre le neveu de Mme de