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Saint-Simon. Par un sentiment de parfaite convenance, l’époux se tait sur les grâces de l’épouse et les laisse deviner sans les décrire ; mais cette douce image pénètre jusqu’aux pages où elle n’apparaît point. À chaque incident de la vie de M. de Saint-Simon, à chaque crise provoquée par ses humeurs, on sent à ses côtés l’action latente, mais continue, d’un esprit tout tempéré de douceur et de mesure. Est-il devenu suspect au roi par sa réputation de science et de hauteur, à Mme de Maintenon par les ressentimens du duc du Maine, au duc et à la duchesse de Bourgogne par les indignes calomnies répandues lors de la malheureuse campagne de Lille : un génie tutélaire, toujours présent, bien qu’invisible, dissipe les préventions, calme les ressentimens et parvient à retenir M. de Saint-Simon à la cour, moins pour y demeurer auprès de lui que pour ne pas l’exposer, jeune encore, à l’épreuve d’une longue retraite qu’il aurait été manifestement incapable de supporter.

Peu d’années après son mariage, un changement notable s’opéra dans la vie de M. de Saint-Simon, changement qui, en le dérobant au joug de la discipline militaire, ouvrit un cours plus libre aux inquiétudes d’une imagination stimulée par l’oisiveté. Après quatre campagnes, qu’il a décrites avec une entente remarquable, Saint-Simon se détermina à quitter le service, résolution grave pour un homme de sa condition, mais provoquée par des mesures que des juges compétens paraissent avoir reconnues outrageantes, quelque difficulté que nous puissions éprouver aujourd’hui à leur attribuer un tel caractère. Après la paix de 1697, le régiment de Saint-Simon fut réformé, comme beaucoup d’autres, et il arriva que M. de Barbézieux, successeur de Louvois, fidèle aux traditions paternelles, exigea de tous les colonels deux mois par an de présence à la suite d’un autre corps. « Cela fut trouvé fort sauvage ; » mais voici que, pour combler la mesure, Saint-Simon vit son nom omis dans une promotion de brigadiers qui comprenait plusieurs de ses cadets « et quatre gentilshommes particuliers, ce qui lui parut insupportable. » Perdant ainsi tout espoir d’une prompte carrière militaire en même temps qu’il se tenait pour outragé dans sa dignité de duc et pair, le jeune colonel renonça au service, « malgré la réflexion d’abandonner toutes les espérances du métier, l’ennui de l’oisiveté et la douleur des étés à ouïr parler de guerre, de départs et d’avancemens. »

Abandonner l’armée, c’était s’attirer la disgrâce à peu près certaine de Louis XIV, qui appelait cela le quitter ; c’était renoncer d’ailleurs à la seule situation vraiment honorable que fît à la noblesse française la constitution de l’ancienne monarchie ; c’était enfin, pour un homme de la qualité et du caractère de M. de Saint-Simon, retomber de tout son poids dans les périls de cette vie de cour que