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presque filiale pour l’abbé de Rancé, forme l’attachement le plus long et le plus chaleureux dont la trace se rencontre dans ses Mémoires. Pour se rapprocher davantage de M. de Beauvilliers, il aspira, avec l’ardeur qu’il portait dans toutes ses poursuites, à la main de l’une de ses filles, projet qui paraît n’avoir échoué que par la résolution commune à ces jeunes personnes d’embrasser la vie religieuse. À la passion qu’il porte dans cette affaire, au désespoir qu’il exprime lorsqu’un premier refus lui est signifié, aux torrens de larmes que ce refus lui fait répandre, à la longue retraite qu’il va faire à la Trappe pour rentrer en possession de lui-même, on pourrait se croire en présence de l’un de ces attachemens exaltés qui embrasent et empoisonnent toute une vie, et l’on ne sort d’inquiétude qu’en entendant Saint-Simon, sur la résistance de l’aînée des filles de M. de Beauvilliers, déclarer que, n’ayant jamais vu aucune d’entre elles et ignorant jusqu’à leur âge, il prendra aveuglément celle qu’on voudra bien lui donner, « n’ayant passion que pour son alliance, tellement que forcer sa vocation sur ce point-là, c’est l’exposer à vivre mal avec la femme qu’il épouserait. » L’écrivain ajoute que « la duchesse de Beauvilliers fut surprise de la force de ce raisonnement et de la prodigieuse ardeur de son alliance qui le lui faisait faire. » Toutefois cette surprise n’alla pas jusqu’à sacrifier la vocation de ses filles à la vocation de M. de Saint-Simon. Après avoir pris cette affaire avec un entraînement passionné, il dut donc chercher ailleurs les points d’appui qu’il attendait de ce mariage, « car rien ne pouvait le tenter d’une mésalliance, ni la mode ni ses besoins le contraindre à s’y ployer. »

La Providence ne tarda pas à lui envoyer une compensation dont il sut se montrer digne par la reconnaissance profonde qu’il en exprima toute sa vie envers Dieu. En épousant la fille aînée du maréchal de Lorges, nièce du maréchal de Duras et petite-nièce de M. de Turenne, il trouva l’appui d’une grande et nombreuse maison, et profita de la haute considération personnelle acquise à M. de Lorges à la cour et surtout aux armées. À la même époque fut célébrée avec la seconde fille du maréchal l’union du duc de Lauzun, qui voulut finir par un mariage contracté à soixante-trois ans avec une jeune fille de quinze le fade roman de sa vie. D’autres alliances, moins éclatantes, mais plus précieuses encore pour Saint-Simon, quoiqu’il se garde bien de le confesser, l’introduisirent bientôt dans l’intimité de Chamillart et du chancelier de Pontchartrain, en lui donnant ainsi près du pouvoir le seul accès que comportât le système politique de Louis XIV.

Entre tant de figures que cette galerie fait passer sous les yeux, il n’en est pas de plus discrètement esquissée que celle de Mme de