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dans le secret, sans probité qu’extérieure ; hypocrite parfait, sans foi, sans loi, sans Dieu et sans âme ; cruel mari, père barbare, frère tyran, ami uniquement de soi-même, méchant par nature, se plaisant à insulter, à outrager, à accabler, et n’en ayant de sa vie perdu une occasion. » Qu’est-ce que le pilori de la place du palais auprès d’un tel poteau dressé dans l’histoire par la main d’un plaideur désappointé ?

Pendant qu’il commençait contre la magistrature la rude guerre dans laquelle il allait user sa vie, Saint-Simon déployait une habileté plus fructueuse pour s’introduire à la cour dans un cercle où il était assuré de trouver, avec des sentimens conformes aux siens, des auxiliaires puissans pour avancer l’œuvre de sa fortune. Le duc de Beauvilliers était le centre d’une coterie dont les duchesses de Beauvilliers, de Chevreuse et de Mortemart, filles de Colbert, avaient formé le premier noyau, et qui s’était resserrée autour de l’abbé de Fénelon au point d’affecter les allures d’un parti et bientôt après d’une secte. Le précepteur du duc de Bourgogne goûta peu le jeune homme, qui paraît avoir fait de longs et vains efforts pour forcer la porte du cénacle. On peut l’inférer du moins de l’amertume avec laquelle Saint-Simon, dont les jugemens sont presque toujours déterminés par un contact personnel, parlé au début de ses Mémoires de « cet esprit coquet qui cherche à être goûté et à plaire depuis les personnes les plus puissantes jusqu’aux laquais ; » on doit le croire surtout d’après les contes ridicules qu’il accueille sur l’archevêque de Cambrai, au point d’accuser Fénelon, lorsque s’ouvre la querelle du quiétisme avec Bossuet, de s’être confessé à ce prélat afin de lui fermer la bouche.

Saint-Simon fut plus heureux auprès de M. de Beauvilliers, frappé sans doute de la solidité de ses croyances religieuses et de la pureté constante de sa vie dans un monde où des exemples si différens étaient donnés à la jeunesse. Or, de tous les hommes considérables de la cour, Beauvilliers était celui dont le patronage paraissait alors le plus précieux, car il semblait disposer de l’avenir plus encore que du présent. Premier gentilhomme de la chambre et gouverneur des princes fils du dauphin, ce seigneur était en même temps chef du conseil des finances. À la mort de Louvois, il avait été fait ministre d’état par une exception à peu près unique sous ce règne de vile bourgeoisie, durant lequel l’accès aux affaires publiques fut constamment refusé aux hommes d’une haute naissance, Louis XIV ne réservant en effet à ceux-ci que deux ou trois ambassades sans importance politique.

Saint-Simon voua dès sa jeunesse à ce noble personnage et au duc de Chevreuse, son beau-frère, une fidélité qui, avec sa tendresse