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Georges lui tourna le dos. Jamais journée ne lui parut plus longue. Toute son intelligence s’appliqua à conduire ses convives loin de la Maison-Blanche ; toute sa crainte était que le hasard ne lui fît rencontrer Mme Rose. Chaque fois qu’il apercevait une robe de femme au détour d’une allée, il tressaillait. Parler d’elle ou la laisser voir par une telle compagnie lui paraissait un sacrilège. Cet amour né dans la retraite, et que le monde ignorait, lui avait comme rendu toutes les délicatesses et toutes les susceptibilités charmantes des premières émotions. Il n’entendait rien de ce qu’on disait autour de lui ; c’était comme si l’on se fût exprimé en une langue étrangère. Les propos les plus extravagants et les rires les plus vifs n’y faisaient rien.

— C’est donc là ce qu’on appelle de la gaieté ? disait-il ; et il ne comprenait pas qu’il eût jamais pu être gai de la même manière.

Après le déjeuner, on dîna, et il fallut mettre le village à sac pour trouver un menu présentable. Au dessert, on fit grand bruit. Tous ces cris, toutes ces plaisanteries, qui avaient la prétention d’être spirituelles, jetèrent M. de Francalin dans une mélancolie singulière ; il regardait les convives tour à tour avec étonnement. « Sont-ils malheureux de s’amuser ainsi ! » répétait-il.

Le dîner fini, on voulut se promener en bateau. Les bords de la Seine retentirent de chants. Georges trouva qu’on lui gâtait sa rivière. Combien elle était plus belle quand la Tortue y passait seule avec Mme Rose !

Quand la compagnie songea à se retirer, le dernier convoi du chemin de fer était parti. On dut mettre en réquisition toutes les voitures du pays pour trouver des moyens de transport. Quelques tours de roue emportèrent enfin la dernière chanson et le dernier adieu. Georges prit sa course du côté d’Herblay. Il était à bout de patience et avait besoin de respirer un peu le même air que respirait Mme Rose pour se rafraîchir. Le temps était magnifique. Le croissant de la lune montait au-dessus de la forêt de Saint-Germain. Les premières senteurs de la verdure nouvelle remplissaient l’atmosphère. Georges cueillit dans les haies de gros rameaux de branches fleuries ; il en fit un bouquet qu’il posa sur l’appui d’une fenêtre derrière laquelle Mme Rose travaillait souvent. « Elle le verra demain, dit-il, et il faudra bien que sa première pensée s’adresse à moi ! » Quand il rentra à la Maison-Blanche, Jacob lui remit une lettre timbrée de Beauvais. « Tiens ! de ma tante ! » dit Georges.

La baronne Alice-Augustine de Bois-Fleury priait en quelques lignes son neveu de la venir voir à Beauvais, où elle avait découvert une jeune fille d’extraction noble qu’elle désirait lui faire épouser ; elle ajoutait que jamais occasion meilleure ne se présenterait, et faisait