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à leur chapeau ; mais, fidèles à la foi jurée, ils se saluèrent de la main sans se parler. Georges allait rejoindre Mme Rose ; Valentin allait se promener avec son désespoir.

IV

Ils vécurent ainsi quelque temps ; les feuilles allaient et venaient. Valentin jurait ses grands dieux qu’il ne ferait plus à aucune femme l’honneur de l’apercevoir ; mais souvent déjà il retournait à Paris et y demeurait un jour ou deux, quelquefois trois ou quatre. C’était comme de petites vacances qu’il donnait à sa douleur. Georges trouvait tout bien, pourvu qu’on lui permît de gravir la côte d’Herblay chaque matin. Quand un hasard s’opposait à ce qu’il vît Mme Rose, la journée lui semblait vide. Malgré l’humeur égale de sa voisine et la sérénité qu’on voyait en elle, on sentait qu’il y avait un chagrin dans sa vie, comme on devine à certains bouillonnements qui rident la surface des lacs que des sources invisibles s’épanchent dans leurs secrètes profondeurs ; mais ce chagrin, M. de Francalin ne se l’expliquait pas, et Mme Rose n’en parlait jamais. Elle avait une manière de regarder bien en face, avec des yeux limpides et chastes, qui rendait toute question presque impossible, et ce n’était pas Georges qui aurait eu l’intrépidité de lui en adresser.

On sait que Mme Rose vivait seule avec une vieille servante dans une petite maison où jamais elle ne recevait personne, si ce n’est M. de Francalin, le curé d’Herblay et quelques notables du village qui venaient lui demander des secours pour leurs pauvres. Cette solitude profonde, avec toutes les apparences des habitudes les plus élégantes, n’était pas déjà tout à fait ordinaire. On sait en outre que le piéton lui remettait souvent des lettres qu’elle lisait avec avidité et qui la jetaient dans un grand trouble. Georges l’avait quelquefois surprise après ces lectures, et il voyait sur ses joues comme des traces de larmes. Il ne pouvait alors s’empêcher de penser à cet inconnu qui deux ou trois fois avait paru à Herblay et qu’il n’avait pas vu. Était-il pour quelque chose dans ces larmes secrètement versées ? Quel titre avait-il au souvenir de Mme Rose, et quelle place tenait-il dans son intimité ? Canada avait raconté à M. de Francalin que, dans les premiers temps du séjour de Mme Rose à Herblay, on avait épluché sa conduite jour par jour, heure par heure. Les plus méchantes langues n’avaient pu rien découvrir qui prêtât aux médisances. On en vint à penser que, si elle avait quelque sujet d’être malheureuse, c’était un grand crime de la part de ceux qui en étaient la cause. Quelques indices pouvaient faire croire qu’elle était de Paris, ou que du moins elle l’avait longtemps habité, puisqu’elle