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— Elle y va souvent quand il fait clair, dit une bonne femme qui avait soin du ménage : si vous voulez rencontrer Mme Rose, il faut venir vers onze heures ou midi.

Comme il descendait la côte d’Herblay, M. de Francalin aperçut Canada qui ramassait du sable dans la rivière. En trois coups de rame, il fut auprès de lui.

— Si vous m’aviez hélé tout à l’heure quand vous avez passé avec la Tortue, je vous aurais évité la peine de monter là-haut, lui dit Canada.

— Vous saviez donc que Mme Rose n’était pas chez elle ?

— Pardine ! puisque je viens de la conduire à la ferme, de l’autre côté de l’eau….

— Et qui la ramènera ?

— Moi donc ! Est-ce que je n’ai pas des bras et un bateau ? est-ce qu’il ne faut pas qu’on gagne sa pauvre vie ?

Georges, alluma un cigare à la pipe de Canada.

— Dites donc, mon vieux, si vous laissiez de côté votre perche et votre sable ?… J’ai là mon épervier, et nous prendrions bien de quoi faire une friture en remontant la rivière.

Le pêcheur regarda Georges en dessous et secoua d’un air fin les cendres de sa pipe.

— C’est-à-dire, monsieur Georges, que vous avez envie de me parler de Mme Rose…. Vous vous êtes dit comme ça : je ne connais pas la rose d’Herblay ; Canada la connaît, faisons causer le vieux.

Georges sourit.

— Eh bien ! je suis bon diable, reprit Canada ; laissez-moi amarrer mon sabot à quelque pied de saule, et je passerai à bord de la Tortue…. Nous ramènerons Mme Rose de compagnie…. Ça n’empêche pas, grommela-t-il en s’approchant du rivage, que cette conversation va me faire manquer ma journée…. Ce sable que je pêche est plein de ferraille, et il y a profit à le ramasser.

— Est-ce qu’on ne sait pas que tout travail mérite salaire ? Venez toujours, dit Georges.

La barque attachée, Georges prit les rames, Canada l’épervier, et ils remontèrent la Seine dans la direction des tirés de Saint-Germain.

— Çà, que vous plaît-il de savoir ? reprit le pêcheur.

— Un peu de tout.

— Voulez-vous que je vous dise ma pensée, moi ? poursuivit Canada sans s’arrêter à la réponse de M. de Francalin. Vous m’avez tout à fait la mine d’un homme qui va devenir amoureux de Mme Rose.

Georges haussa les épaules.