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— C’est vrai, répondit Georges ; jolie n’est pas le mot : elle a je ne sais quoi qui n’est pas cela et qui est mieux que cela.

— Tiens, dit Canada, elle a son cœur dans les yeux.

II

C’était la première fois que Georges voyait Mme Rose, et maintenant qu’il l’avait regardée, il s’expliquait très-nettement le sentiment bizarre de Canada. On ne pouvait pas dire de Mme Rose qu’elle eût une taille de déesse, la chevelure de Cypris, un profil de camée, et toutes ces perfections que les poètes accordent volontiers à leurs divinités. Était-elle belle ? Était-elle jolie ? on ne le savait pas. Elle séduisait par un charme singulier qui était en elle et qui vous enveloppait doucement comme la chaleur pénétrante d’un foyer où brille un feu clair. Ce charme ne provenait ni de la pureté de ses traits, qui n’étaient pas d’une extrême régularité, ni de la grandeur et de l’éclat de ses yeux, qu’on pouvait voir sans en être ébloui : il provenait de l’harmonie, ce don si rare et si précieux. Il était impossible de désirer qu’elle eût le nez plus fin ou la bouche plus petite : il semblait que chacun de ses traits fût précisément ce qu’il devait être, et qu’on les avait faits exprès pour elle ; le son de la voix répondait à l’expression du regard ; le sourire était bien tel qu’on l’espérait de ses lèvres, et, quand on l’avait quittée, on ne pensait pas qu’elle pût être mieux ou autrement qu’on ne l’avait vue.

Le lendemain de cette première rencontre, Georges n’aurait pas pu dire si Mme Rose était brune ou blonde, il lui semblait bien, en cherchant, qu’elle avait les cheveux châtain clair et les yeux d’un bleu foncé, mais il n’en était pas sûr ; il se rappelait seulement qu’elle avait une grande apparence de jeunesse avec un air réfléchi qui augmentait la grâce de sa physionomie. Quand elle parlait, elle vous regardait bien franchement dans les yeux ; un joli sourire égayait le coin de sa bouche, qui semblait faite pour la vérité. Elle était naturellement joyeuse et vive, et cependant un voile de mélancolie était répandu sur son front, et son regard avait parfois quelque chose de triste et de plaintif comme celui d’une colombe blessée. C’était moins une lueur qu’un éclair fugitif ; mais il n’en fallait pas davantage pour comprendre que Mme Rose avait souffert, comme ces petites gouttes d’eau suspendues aux pétales d’un lis indiquent qu’il a plu.

M. de Francalin avait demandé à Mme Rose la permission de la revoir, ne fût-ce que pour la remercier de son hospitalité, et elle la lui avait accordée sans hésitation. Il retourna donc à Herblay dès le lendemain ; mais ce jour-là Mme Rose était à la promenade.