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autant d’empressement à courir au-devant de Tambour que Tambour en mettait à courir au-devant de ses cornes. Le taureau, ayant levé son mufle, avait flairé le chien et était parti au galop ; les deux adversaires se rencontrèrent à mi-chemin, et le combat s’engagea sur-le-champ dans la prairie.

Georges laissa l’épagneul aux prises avec le taureau, et atteignit bientôt les bords de la Seine. Deux corbeaux qui creusaient l’herbe à coups de bec, cherchant leur pâture, partirent à sa vue ; Georges les mit en joue et fit feu. Les deux corbeaux battirent de l’aile et s’enfoncèrent dans le ciel. — Diables d’oiseaux ! il est écrit que je les manquerai toujours ! » dit Georges en frappant du pied.

Une bande de corbeaux s’éleva du bord de la rivière au bruit de cette double détonation, et se mit à voleter de tous côtés. Les uns passaient au-dessus de la tête de Georges allant et venant, d’autres fuyaient à tire-d’aile du côté de la forêt ; quelques-uns, les plus hardis ou les plus jeunes, s’abattaient dans la prairie et couraient ça et là. M. de Francalin rechargea son fusil et se mit à leur poursuite ; mais les oiseaux vigilants s’éloignaient bientôt, et, quelle que fût son activité à les tirer, il ne put en atteindre aucun. Le chasseur s’entêta, et, remarquant que les corbeaux traversaient le fleuve à toute minute, il pensa qu’il serait peut-être plus heureux en canot.

Il courut vers une sorte d’anse que la Seine avait creusée dans le sable et qu’une petite pointe de terre protégeait contre le remous. Un joli petit bateau peint en noir avec une raie blanche y flottait, la proue retenue aux racines d’un saule par une chaîne cadenassée. Le nom du canot, la Tortue, était écrit en belles lettres rouges sur l’arrière, auprès du gouvernail. Georges ouvrit le cadenas, sauta dans le canot et poussa au large. Malgré son nom, la Tortue filait sur l’eau comme une flèche, et, poussée par l’impulsion vigoureuse des rames, elle eut bientôt gagné le milieu du courant, qu’elle remonta dans la direction de l’éperon boisé qui sépare le parc de Maisons des tirés de Saint-Germain. Comme il ramait, Georges entendit le bruit d’un corps tombant dans l’eau : c’était Tambour, que tout ce tapage de coups de fusil avait attiré sur la rive, et qui venait bravement de se mettre à la nage pour rejoindre le canot. Son maître l’attendit, l’enleva lestement et continua sa route, guettant de l’œil les corbeaux qui voletaient sur les deux rives.

Une légère brume, qui depuis le matin flottait sur la campagne, se dissipa en ce moment, et un clair rayon de soleil égaya le paysage. Parvenu à la hauteur d’Herblay, Georges laissa glisser la Tortue au courant de l’eau, et, accroupi à l’arrière, comme un pêcheur qui tend ses filets, il attendit, la main sur son fusil, qu’un des oiseaux passât à sa portée. Tambour, assis à l’autre bout du bateau,