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de l’amphithéâtre, une espèce de panorama de Jérusalem. Mais c’est surtout le souvenir des martyrs chrétiens qui consacre cette grande ruine et console un peu des barbaries qu’elle rappelle par un souvenir de dévouement et d’héroïsme. Je ne m’y arrêterai pas en ce moment, j’espère retrouver un jour cette page touchante et sublime de l’histoire du Colisée lorsque j’écrirai les annales de la Rome chrétienne, quand ce ne serait que pour me délasser de ces tristes peintures de la Rome impériale. Dès aujourd’hui pourtant, je veux faire remarquer que, même à un point de vue purement terrestre et sans sortir de l’histoire politique pour entrer dans l’histoire religieuse, les chrétiens, vieillards, enfans, jeunes femmes et jeunes filles, qu’on amenait là sous la dent des lions, étaient les seules créatures humaines qui résistassent dans l’empire à une tyrannie devant laquelle tout ployait. Ils ne conspiraient point, ils laissaient frapper ces maîtres du monde, qui en étaient aussi la honte, par la main de leurs soldats et de leurs affranchis, ou du moins, s’ils conspiraient, ce n’était pas en tuant, mais en mourant, non occidendo sed moriendo, selon la belle expression de saint Hilaire de Poitiers. Obéissant aux lois tant que leur conscience pouvait y obéir, ils attendaient le jour où on leur demandait de brûler un grain d’encens devant l’image de l’empereur : alors, sans haine, sans violences, que l’empereur fut bon ou mauvais, ils refusaient, et la dignité humaine était sauvée.

Le temple de Mars vengeur, bâti par Auguste, avait marqué l’avènement du grandiose dans l’architecture romaine : le Colisée y montra l’apparition du colossal, encore avec une grande pureté dans les détails, bien qu’avec un soin déjà moins heureux et une perfection moins exquise. Cependant la différence est bien loin d’être aussi forte qu’entre un vers de Virgile et un vers de Stace. L’architecture résiste mieux que la poésie à la décadence de l’âme ; c’est qu’elle tient moins immédiatement à l’âme.

Il me reste à considérer l’amphithéâtre des Flaviens dans son rapport avec le troisième empereur de cette famille, avec Domitien. C’est lui qui l’inaugura réellement par une foule de spectacles variés et souvent monstrueux. L’amphithéâtre était une œuvre cruelle : Domitien avait dans ses instincts tout ce qu’il fallait pour faire accomplir complètement au Colisée sa destination de cruauté. Le fils de Vespasien était un génie inventif en ce genre. S’il s’amusait parfois à des spectacles qui ne violaient que la pudeur romaine, comme lorsqu’il faisait courir des jeunes filles dans son stade, s’il se contentait des égorgemens ordinaires de la naumachie et de l’amphithéâtre, exécutés en grand, il est vrai, car il mettait aux prises des flottes, des bataillons et des escadrons entiers de gladiateurs à pied et à cheval,