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n’eut le loisir de bâtir un amphithéâtre. Pendant cette période de guerres civiles ou plutôt de luttes militaires, ce fut l’empire lui-même qui fut l’arène où se combattaient, comme des gladiateurs condamnés à mort, quelques rivaux ambitieux, non pour amuser le peuple, mais pour le conquérir, car il était le prix du combat.

Il fut réservé aux Flaviens d’accomplir le dessein d’Auguste. Une famille nouvelle avait besoin de faire de grandes choses pour se fonder, et puis il fallait plaire à la multitude, il fallait lui faire oublier Néron, qu’à sa honte elle aimait toujours, opposer un monument grandiose aux splendeurs de la Maison-Dorée : on bâtit le Colisée. Martial, le flatteur outré de Domitien et le premier chantre du Colisée, ne s’est pas trompé sur la pensée qui l’avait fait construire, quand après avoir insulté, comme on l’a vu, les œuvres de Néron, et reproché à sa Maison-Dorée d’envahir les propriétés des pauvres citoyens, il s’est écrié : « Que tout cède à l’amphithéâtre de César ! » Le Colisée est l’œuvre des Flaviens ; tous trois travaillèrent à l’élever, et il figure sur les médailles de tous trois. Il s’appelait l’amphithéâtre flavien ; c’est son nom historique, son vrai nom. Celui de Colosseum, dont nous avons fait Colisée, qui a l’inconvénient d’être trop doux pour désigner ce monument sanguinaire et cette masse formidable, ne lui fut donné qu’après qu’Adrien eut transporté dans son voisinage le colosse de Néron, déjà déplacé une fois par Vespasien. Je pense avoir expliqué pourquoi le grand amphithéâtre n’a pas été construit avant Vespasien, et pourquoi il l’a été par lui et par ses fils. Le lieu où il fut bâti me fournira la matière d’une remarque que je crois importante. « Vespasien, dit Suétone, bâtit l’amphithéâtre au milieu de la ville, comme il savait qu’Auguste avait eu l’intention de le faire. » Ces mots, au milieu de la ville, étonnent : le Colisée est très loin du centre de la ville actuelle, on peut presque dire qu’il est à une de ses extrémités, et ce passage de Suétone n’est pas isolé. Tite-Live dit que la prison Mamertine était au-dessus du Forum et au milieu de la ville ; il y place également le quartier des Carines, Denys d’Halicarnasse le mont Palatin, et Martial le temple de la Paix. Le Forum, le mont Palatin et le temple de la Paix sont très proches les uns des autres et voisins des Carines et du Colisée. Ce fait, qui n’avait, que je sache, frappé personne, m’a beaucoup frappé, car il se lie à un problème curieux et difficile, le chiffre de la population de Rome.

Les opinions sur le chiffre vrai de cette population sont très diverses. Les uns la portent à plusieurs millions, d’autres la restreignent considérablement. Rome, dit-on, s’étendait jusqu’à Ostie, qui est à une distance de sept lieues, ou à Otricoli, qui est encore plus loin. Cela ne peut s’entendre que du prolongement indéfini