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par Domitien ? « Tu nous as fait voir, dit Martial, des chars courir au milieu des eaux. »

C’est à propos de Domitien que je parlerai du Colisée : il ne l’a point bâti, mais il l’a terminé. Commencé par Vespasien, le Colisée fut dédié par Titus ; Domitien, qui l’acheva, mérite seul qu’on rattache à son nom ce monument admirable, car c’est, hélas ! un monument de férocité. Il est triste que la plus grande, la plus imposante ruine de Rome soit un amphithéâtre. Les peuples et les temps se peignent, je l’ai dit, par leurs monumens ; le passé nous est enseigné par ses débris. Que nous a laissé la vieille Égypte ? D’abord les pyramides, c’est-à-dire des tombes royales, puis d’autres sépultures gigantesques creusées dans les montagnes, des temples souterrains, des palais immenses, des édifices à la fois temples et palais, comme il convenait à un peuple dont la grande préoccupation était l’existence après la mort, et pour qui ses rois étaient des dieux. La Grèce antique vit dans la merveille du Parthénon, cette expression sans rivale du beau ; le moyen âge, dans ses religieuses cathédrales ; la renaissance, dans ses élégans palais, créés pour célébrer au milieu des fêtes le réveil radieux de l’esprit humain. Si Paris n’était plus qu’un monceau de ruines, sur ces ruines s’élèverait notre colossal Arc-de-Triomphe, symbole de cette grandeur militaire, la seule à laquelle nous ne renonçons jamais. Le plus magnifique reste de la civilisation romaine est un amphithéâtre, c’est-à-dire une boucherie.

Oui, le Colisée est un monument gigantesque de la férocité romaine, et la férocité fut, il faut le reconnaître, un trait fondamental et permanent de la physionomie du peuple romain. Aucun peuple civilisé ne méprisa plus la douleur qu’il infligeait et n’eut moins pitié de la mort. La loi des douze tables permettait aux créanciers d’un débiteur insolvable de le couper en morceaux. On égorgeait les vaincus pendant le triomphe. Un Gaulois et une Gauloise furent enterrés vivans dans le Forum. Quand le maître était tué, on mettait à mort tous ses esclaves. Cette dureté farouche est incarnée dans la tradition romaine. Si l’on remonte jusqu’aux fabuleuses origines de la cité de Mars, une louve allaite son fondateur et sera son symbole et son image. Un fratricide brutal, et qui ressemble à ces coups de couteau qu’on s’y donne encore aujourd’hui avec tant de facilité, ouvre sa légende. Il y a du sang dans le sillon qui fut l’enceinte sacrée de la Rome primitive, et le Capitole doit son nom à une tête coupée. Puis vient l’époque de l’histoire, et l’histoire est aussi sanglante que la légende. Chacune des phases de la république romaine est marquée par un meurtre accompagne de circonstances sinistres. On voit intervenir à chaque révolution tour à tour la hache qui abat sous les yeux de leur père la tête des enfans de Brutus, le