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« Et plût aux dieux, s’écrie avec raison le poète, qu’il eût donné à de telles puérilités tout le temps qu’il donna à ses barbaries ! Il put frapper impunément bien des têtes illustres que personne ne vengea ; mais il périt le jour où les derniers des citoyens commencèrent à le craindre. »

Domitien ne se contenta pas des plaisirs sanglans de l’amphithéâtre assaisonnés de littérature. Il y voulut joindre les amusemens plus innocens du cirque, et pour cela il en construisit un dans le Champ-de-Mars, et lui donna le nom grec de Stade. La figure de ce cirque est encore aujourd’hui indiquée par la configuration de la place Navone, un des endroits de Rome qui ont une physionomie à eux. C’est un marché de ferrailles et d’herbages, de vieux pots et de vieux livres. Tout différent qu’est ce lieu de ce qu’il était quand les diverses factions s’y disputaient la palme de la course en char au milieu des cris d’une multitude passionnée, plusieurs détails en rappellent la première destination. On voit très clairement, à l’une des extrémités de la place Navone, la courbe formée par les maisons qui la bordent s’infléchir et dessiner le contour du cirque. Au milieu se dresse un obélisque que le Bernin, avec cette témérité de goût qui arrivait parfois à un certain grandiose, a planté sur les rochers artificiels de sa bizarre fontaine. On croirait que cet obélisque est celui qui servait, selon l’usage romain, de meta au cirque de Domitien, d’autant plus que, par un singulier hasard, son nom s’y lit, écrit en hiéroglyphes ; aussi bien que les noms de Vespasien et de Titus. Cependant on sait que cet obélisque a été apporté là du cirque de Maxence ; mais il n’est pas impossible qu’il ait été pris par Maxence dans le cirque de Domitien et y ait été reporté. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il y est très à sa place.

Les maisons de la place Navone sont assises sur la base des anciens gradins du cirque. Sous ces gradins étaient des voûtes habitées par des femmes perdues. Je ne dirai pas quel mot biblique et devenu français tire son étymologie de ces voûtes (fornices), mais je citerai un fait assez curieux qui se rapporté à l’histoire du cirque de Domitien. Un des antres hideux qui se cachaient sous les gradins passe pour avoir été le théâtre du miracle qui préserva la pudeur de sainte Agnès, qu’on avait condamnée à subir les derniers outrages. En mémoire de ce miracle, on a conservé avec soin et l’on montre sous l’église de Sainte-Agnès un reste du lieu infâme que le cicérone nomme très crûment par son nom italien. Dante, au rester a employé le mot.

À Rome, pendant l’été, l’usage veut que tous les dimanches on se promène en voiture dans la place Navone remplie d’eau. Cette habitude bizarre serait-elle un souvenir d’anciens divertissemens imaginés