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laissé quelques vers précieux sur la villa d’un de ses amis qui avait le même surnom que lui, Martialis, mais qui n’était pas pour cela son parent, car le nom de cet ami était Julius, et le sien Valerius. Ce Julius était possesseur d’une villa sur le Janicule ; elle devait être à peu près où est aujourd’hui la villa Mellini, au sommet de ce prolongement du Janicule qu’on appelle le Monte-Mario, et du haut duquel on a une vue de Rome dont, avant tous les touristes, Dante paraît avoir été frappé. Cette vue admirable, et qu’on ne saurait oublier, est décrite par Martial. « Les toits élégans de la villa, dit-il, s’élèvent doucement vers le ciel. De là tu vois les sept collines souveraines, et tu embrasses l’opulente Rome tout entière, les montagnes d’Albe, celles de Tusculum, la campagne qui domine Rome, Fidènes, l’antique Rubrae, et les voitures des promeneurs sur la voie Sacrée et la voie Flaminienne. » Martial, continuant sa description, place dans le paysage le pont Milvius et les bateaux qui descendent le Tibre. Tout cela est indiqué avec une extrême fidélité dans des vers bien faits ; mais, il faut le dire, on n’y trouve point la grandeur, la sublimité, la poésie de ce spectacle incomparable. Moi aussi, comme tous ceux qui ont vécu à Rome, je suis allé bien des fois, là où était la villa de Julius Martialis, embrasser de mon regard et Rome et surtout cette campagne, si imposante dans sa solitude, si majestueuse dans son abandon. Je voyais les calèches des promeneurs sur les routes dont parle Martial, et qui existent encore ; je voyais comme lui les bateaux sur le Tibre et, ce qu’il n’a point vu, un bateau à vapeur s’avancer, singulier spectacle, à travers ce désert, venant de la Sabine. Je voyais Fidènes et le pont Milvius. Seulement moi, moderne, je recevais de ce spectacle une impression que le poète romain ne paraît pas avoir soupçonnée. Ce qu’il indique brièvement par ce vers :

Albanos Tusculosque colles,


les collines albaines et tusculanes, ce sont les deux groupes de montagnes qui forment l’admirable fond du paysage romain, l’un arrondissant ses suaves contours que domine la cime volcanique de Monte-Cavo, et qui, par une pente insensible, vont mourir vers la mer ; l’autre, d’un aspect abrupt et fier, quoique enchanteur aussi par la pureté des lignes et les prestiges de la couleur, étalant sous un soleil radieux, de Tivoli jusqu’au mont Soracte, ses masses sombres et lumineuses, l’azur, la pourpre et la neigé de ses sommets. Martial aimait à regarder cela comme nous, mais, on le voit, il ne le sentait pas comme nous. La nature, que les anciens savaient goûter sobrement et rendre d’un trait rapide, plein de précision et de vérité,