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MARTHE DE MONTBRUN.

copie exacte de la gravure de modes du mois précédent : coupe des cheveux et de la barbe, forme du gilet, pose apprêtée, rien n’y manquait. Tout cela constituait aux yeux de M. Servet le type suprême de l’élégance et du bon goût.

— Comme elle écrase toutes les autres femmes ! poursuivit-il en regardant Marthe. Et lui, quel joli cavalier ! Entre nous, je crois qu’il pourrait bien songer à devenir pour elle quelque chose de plus qu’un valseur. Je ne donne pas beaucoup dans l’amitié de jeunesse qui a amené cette vieille marquise de Rosbac de l’autre bout de la France ici, pour présenter à la baronne son fils et sa fille. Je jurerais qu’il y a là-dessous quelque arrière-pensée matrimoniale ; je me défie d’elle malgré tous ses grands airs. Je ne serais pas étonné qu’il y eût quelque brèche à sa fortune. J’y veillerai. Je l’attends au contrat, et quelque fine qu’elle soit, elle ne parviendra pas à me tromper.

Manuel était à bout de patience, quand la fin de la valse amena la dispersion du groupe dont il faisait partie. Il se sépara de l’avocat sans aucune cérémonie et essaya de se rapprocher de Marthe. Malheureusement pour Manuel, le danseur de Marthe s’appuya sur le dos du fauteuil où elle était assise, et ayant rencontré une pose qui faisait ressortir les grâces de sa personne, il sembla décidé à lui débiter le plus longtemps possible de délicieuses fadeurs, qu’il supposait irrésistibles, à en juger par le sourire de satisfaction répandu sur son visage.

Ne sachant que faire de lui-même. Manuel se mêla aux admirateurs empressés que la vicomtesse Julia savait retenir autour d’elle. Un nouveau supplice l’attendait là.

La vicomtesse n’avait rien épargné pour captiver Manuel ; mais avec le tact que possèdent toutes les femmes coquettes pour apprécier le degré précis d’admiration qu’on accorde à leurs charmes, elle avait depuis longtemps reconnu qu’elle prodiguait inutilement ses plus séduisans sourires et ses toilettes les plus inimitables. Le dépit qu’elle en ressentit augmenta sensiblement, quand elle crut découvrir que Manuel aimait Marthe. Julia détestait Marthe, elle la détestait pour sa beauté, pour ses talens, quoiqu’elle affectât de les dédaigner, et plus encore peut-être pour la position qu’elle occupait au château, comme fille adoptive de la baronne. Devinant ce qui se passait dans l’âme de Manuel, elle voulut se donner le plaisir de la vengeance. Elle l’accabla de plaisanteries moqueuses et d’ironiques complimens sur son dédain des vains amusemens du monde et sur son zèle immodéré pour la science. Manuel, dont le cœur était plein de tristesse et d’amertume, eut d’abord moins d’esprit qu’il n’en aurait fallu pour repousser victorieusement d’aussi terribles attaques ; puis, s’irritant de se sentir presque ridicule devant les élégans de B…,