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irlandais : « L’Inde, beau pays où l’on a toujours soif ; seulement l’on va au lit bien portant, et l’on est très étonné de se réveiller mort ! » Triste spectacle en effet que celui qu’une caserne de troupes européennes, dans l’Inde présente au visiteur : ce ne sont que visages hâves et décolorés, yeux ternis par l’ennui et par la fièvre ; pauvres gens, qui ne savent tromper les longues heures d’une vie pleine d’oisiveté et de monotonie que par les plaisirs mortels de la bouteille d’eau-de-vie.

Les maladies, en effet, déciment chaque année d’une manière terrible les rangs européens. L’on estime que sur 1,000 hommes il y en a toujours 129 à l’hôpital, et que tout soldat figure trois fois par an sur la liste des malades. Quant à la mortalité, qui est en Angleterre de 15 pour 1,000, elle est au Bengale de 7 pour 100. Heureux encore les régimens qui restent dans les limites de cette moyenne, car il en est d’autres qui voient se renouveler tout leur personnel en quelques années ! Ainsi le 98e régiment, dont l’effectif au débarquement s’élevait à 718 hommes, ne comptait plus après huit ans de résidence que 109 hommes du personnel primitif. Quelque effrayant que soit ce chiffre, il ne saurait se comparer à celui de la mortalité parmi les enfans de troupe, dont les générations entières disparaissent, ne laissant après elles que de rares et chétifs survivans[1]. L’on ne doit pas exonérer le gouvernement de toute responsabilité dans ce déplorable état de choses si contraire aux intérêts du trésor et du service. En effet les casernes sont souvent construites dans des endroits malsains, sans que l’on ait accordé toute l’attention nécessaire aux conditions de ventilation et de renouvellement de l’air, si indispensables sous ces climats délétères. De plus, dans quelques stations particulièrement malsaines, à Agra, Calcutta, Dinapore entre autres, la force

  1. Le tableau suivant, emprunté aux documens officiels et pris sur une moyenne de vingt ans, donnera une idée assez exacte de la mortalité annuelle parmi les armées des trois résidences :
    Bengale Madras Bombay
    Officiers européens 2,9 pour 100
    Soldats européens 7,38 pour 100 3,846 pour 100 5,078 pour 100.
    Soldats natifs 1,79 pour 100 2,095 pour 100 1,291 pour 100


    L’on voit par ce tableau que la résidence de Madras est celle où les soldats européens sont le moins éprouvés par le climat, tandis qu’au contraire la moyenne de mortalité des soldats natifs est double de celle des armées de Bombay et du Bengale. Pour expliquer ce fait assez singulier, il suffira de faire remarquer que les régimens de Bombay et du Bengale sont recrutés parmi les rajpoots et hommes de haute caste, qui s’abstiennent rigoureusement de toucher aux liqueurs fermentées, tandis que les soldats de l’armée, de Madras, pris parmi les plus basses castes, se livrent avec passion à tous les excès de l’intempérance.