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pionnage s’il en fut ; mais la passion arrivée à un certain degré d’exaltation n’est jamais scrupuleuse. Il fut bientôt sur le balcon et arriva quelques secondes après devant la croisée du boudoir.

À peine y eut-il jeté un regard, qu’il respira librement : Mlle de Montbrun était seule. À travers la mousseline transparente des rideaux, il l’aperçut à moitié couchée sur un sopha. Ce n’était plus l’éblouissante créature que cent personnes contemplaient tout à l’heure avec admiration ou envie ; son front était pâle, son regard était voilé ; il y avait un indicible découragement dans sa pose.

— Cette femme aime, se dit Manuel ; est-ce George, est-ce moi ? Il faut que je le sache.

Il poussa la croisée, qui céda sans difficulté, entr’ouvrit les rideaux, et se trouva à trois pas de Mlle de Montbrun.

Au bruit qu’il fit en exécutant ce mouvement, Marthe écarta sa main de son front, et, sans témoigner ni surprise ni frayeur, elle attacha sur lui un regard triste et profond. Manuel se crut aimé. Il allait se jeter à ses pieds quand la porte s’ouvrit brusquement. La ritournelle d’une valse et la blonde pensionnaire dont nous avons déjà parlé firent en même temps irruption dans le boudoir.

— Je savais bien que je la trouverais, moi, s’écria la jeune fille avec une gaieté enfantine. Mon frère vous cherche partout depuis cinq minutes. Viens donc, Gaston, continua-t-elle en se retournant vers la porte.

Un jeune homme frisé et ganté à ravir se précipita dans le boudoir, et rappela à Mlle de Montbrun qu’elle devait danser avec lui. Marthe prit son bras ; subitement transformée, elle passa devant Manuel vive, gracieuse, légère, et lui jeta ces mots en souriant :

— Vous ne dansez donc jamais, monsieur Belmar ?

L’indignation empêcha Manuel de répondre.

En sortant, la blonde pensionnaire, restée en arrière, se retourna pour lui lancer un regard sympathique. Elle se croyait sur la voie d’une histoire d’amour, et se jurait à elle-même de remplir dignement l’emploi de confidente. Manuel la trouva horrible. Rien n’était pourtant plus frais et plus délicieusement mutin que cette jeune fille.

Une fois seul, il se jeta sur le sofa, précisément à la place que Mlle de Montbrun venait de quitter, posa sa tête sur le coussin où elle s’était appuyée, et aspira lentement le vague parfum qu’elle y avait laissé ; mais bientôt, cédant à un sentiment involontaire, il rentra dans le salon, se mêla à un groupe de causeurs, et regarda Marthe valser avec un mélange de ravissement et de fureur. L’inévitable maître Servet l’attendait encore là.

— Voyez donc le joli couple ! dit l’avocat en désignant de la main Marthe et son danseur.

Le jeune homme avec lequel Mlle de Montbrun valsait était la