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d’une œuvre de transition. Pour mettre le comble à notre confusion, nous dirons encore que le beau quatuor de Rigoletto, dont le modèle existe depuis longtemps dans l’inimitable chef-d’œuvre du premier acte de Don Juan :

Non ti fidar,
O misera,
Di qual ritaldo cor ;

que ce beau quatuor, qui est fort bien chanté au Théâtre-Italien, est pour nous la première page de bonne musique que nous entendons de M. Verdi.

Voulez-vous, voir ce que deviennent les succès brillans qui, par un beau jour d’été, s’élèvent dans la bonne ville de Paris, allez entendre Mme Cabel dans la Fille du Régiment. Mme Cabel n’est pas changée, elle est tout aussi jolie femme et chante aussi bien aujourd’hui qu’il y a six ans, alors qu’elle faisait courir tout Paris dans le Bijou perdu de ce pauvre Adam ! Les temps seuls sont changés, ainsi que le goût du public. Cependant l’Opéra-Comique vient de donner tout récemment un nouvel ouvrage en trois actes, Psyché, dont la musique est de M. Ambroise Thomas. Le sujet de la pièce est suffisamment connu, ce nous semble, et comme MM. Jules Barbier et Michel Carré n’ont ajouté au mythe adorable d’Apulée que le personnage comique de Mercure, qui vaut son pesant d’or, nous jetterons un voile charitable sur tout le reste. La musique de Psyché renferme des choses délicieuses qui ne peuvent être sorties que de la main d’un maître : au premier acte, un hymne à Vénus, un chœur de femmes d’un très beau stylé ; un autre chœur pour voix de femmes au second acte, où les éclats d’un rire discret de nymphes sont rendus avec un bonheur extrême ; une chanson bachique de Mercure :

Le nectar qu’on verse aux dieux,

un troisième chœur pour voix de femmes invoquant la protection de Vénus, de jolis détails dans la première partie du duo entre Psyché et l’Amour ; enfin l’invocation au sommeil :

Sommeil, descends des cieux !

que Mme Ugalde, qui représente l’Amour dans le goût du XIXe siècle, chante avec beaucoup de sentiment. On peut encore signaler au troisième acte un trio plus distingué par la manière dont il est écrit que par l’abondance des idées. Si, malgré la fraîcheur des costumes, l’éclat de la mise en scène, la beauté des décors et la distinction de la musique, l’opéra de Psyché n’obtient pas tout le succès que nous lui souhaitons, ce ne sera pas non plus la faute de Voltaire ni celle de Rousseau. Terminons cette chronique, comme nous l’avons commencée, en disant que le petit théâtre des Bouffes-Parisiens se débat comme un Robert le Diable dans un bénitier. Affirmons aussi, envers et contre tous, que l’Orgue de barbarie, opérette de M. Alary, renferme un charmant quatuor.

P. Scudo.

V. de Mars.