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C’est alors que commence un quatuor pour soprano, mezzo soprano, ténor et basse, qui est un vrai chef-d’œuvre. Le duc continue sa déclaration à Maddalena par une phrase délicieuse :

Figlia dell’ amore,
Schiavo son de’ vezzi tuoi, etc.

Maddalena lui répond en riant qu’il veut se moquer d’elle, et sa réponse forme un contraste piquant avec la belle phrase du ténor. Gilda et Rigoletto, qui écoutent au dehors ces propos de basse galanterie, expriment la douleur qu’ils en éprouvent, et ces quatre voix, groupées avec un art qu’on n’est pas habitué à trouver dans les partitions de M. Verdi, forment un ensemble parfait où la diversité des caractères est rendue par une variété de dessins qui ne trouble pas l’unité de l’impression. Après ce morceau, le meilleur peut-être qu’ait écrit M. Verdi, viennent un orage et un trio entre Sparafuccile, Maddalena et la pauvre Gilda, qui, habillée en homme, se dispose à pénétrer dans le bouge pour sauver la vie de son indigne amant. Cette scène est accompagnée d’un chœur invisible qu’on entend de loin. Rigoletto, qui a formé le projet de faire assassiner le duc par le bandit Sparafuccile, vient réclamer le cadavre de son ennemi qu’il a payé à beaux deniers comptans, et il reçoit en sa place le corps de sa fille expirante. Cette scène dialoguée termine l’ouvrage.

Nous croyons avoir signalé tout ce que renferme de remarquable, selon nous, la partition de Rigoletto, qui a été composée à Venise et représentée sur le théâtre de la Fenice le 11 mars 1851 : au premier acte, une jolie ballade de quelques mesures et le menuet qu’il faut restituer à Mozart ; au second acte, le duo entre Rigoletto et sa fille, celui pour soprano et ténor entre Gilda et le duc, et le chœur qui le termine ; la scène de Rigoletto avec les courtisans au troisième acte, le duo qui suit entre Rigoletto et sa fille ; la cavatine et le beau quatuor de la fin.

C’est par le style que vivent les œuvres de l’esprit, et c’est par la forme que durent aussi les œuvres de l’art. Prenez un motet de Palestrina, un madrigal de Scarlatti, un air de Jomelli, une scène de Gluck, une fugue de Bach, un oratorio de Handel, ou bien une symphonie de Beethoven ; pénétrez jusqu’au fond de ces œuvres, aussi diverses que les génies qui les ont conçues, et vous trouverez facilement que c’est par la forme qui recèle l’esprit divin qu’elles sont arrivées jusqu’à nous. La passion éternelle dans sa source, mais variable dans son objet, le sentiment, sont des élémens précieux et comme la matière première dont se créent les chefs-d’œuvre ; mais il faut la main de l’ouvrier pour façonner la coupe qui doit contenir et conserver l’essence, le souffle passager d’un cœur ému. Entre une oraison funèbre de Mascaron et un chef-d’œuvre de Bossuet, entre une tragédie de Pradon, qui a eu du succès dans son temps, et l’Athalie de Racine, il n’y a souvent que la différence du style, c’est-à-dire de l’homme tout entier, un abîme ! Le malheur de la musique, c’est que le public qui en jouit n’admet pas que ce caprice d’un matin puisse être soumis aux mêmes lois de perpétuité que les autres arts. Presque aussi ignorant dans ces matières délicates que ceux qui se donnent la mission de l’éclairer, le public, tout entier à la sensation présente, traite la musique comme il traite les femmes : plus elles