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ce qui retentit et résonne dans les théâtres lyriques de Paris n’est pas toujours de la musique. Ce mot de musique, sous lequel les Grecs entendaient tant de choses, c’est-à-dire presque l’ensemble des connaissances humaines, a aussi chez les peuples modernes des significations très diverses. Il en est de la musique comme de la poésie, sa sœur ; il y en a pour tous les âges, pour toutes les conditions et pour toutes espèces d’oreilles. Tel qui se délecte aux flons flons d’un pont-neuf restera insensible à une symphonie de Beethoven, et celui qui s’extasie à une représentation du Trovatore de M. Verdi pourra bien n’éprouver qu’un mortel ennui à écouter Guillaume Tell de Rossini, le Freyschütz de Weber, ou mieux encore les beautés suprêmes du plus parfait des chefs-d’œuvre, nous avons nommé le Don Juan de Mozart. Et pourtant, sous la diversité de ces goûts mobiles, il y a un goût permanent ; sous ces sensations transitoires de la nature humaine, il existe une loi du beau qui ne vit pas, comme la rose, seulement l’espace d’un matin. C’est donc avec raison, dit La Bruyère, qu’on dispute des goûts, car il ne peut pas y avoir de vérité sans erreur, et le beau suppose l’existence de son contraire, monseigneur le laid. C’est ce que les philosophes appellent la simultanéité du fini et de l’infini, dualité inévitable dans l’esprit humain, clair-obscur qu’on retrouve dans toutes les manifestations de la vie. Pour nous qui supportons le poids du jour à travailler humblement à la vigne du Seigneur, sans méconnaître le prix des choses qui passent et qui durent plus d’une semaine, nous ne cachons pas que nous avons un grand faible pour ce genre de musique et de poésie qui, comme dit la chanson, est de toutes les saisons. »

Voulez-vous des succès ? Nous en avons les mains pleines. Depuis l’Opéra jusqu’aux Bouffes-Parisiens, où M. Offenbach vient de donner une nouvelle édition de Robert le Diable, approprié à la taille de ses fantoccini, on n’entend qu’applaudissemens, ovations triomphales, où les virtuoses et les compositeurs sont traînés à la barre de l’admiration publique. Heureux pays, heureuse époque qui ne sait plus à quel chef-d’œuvre se vouer ! Mais procédons avec ordre, et puisque c’est M. Victor Massé qui est venu le premier au moulin, prenons d’abord son sac portant l’étiquette de la Reine Topaze. Qu’est-ce donc que la reine Topaze ? D’où vient-elle ? quels sont ses faits et gestes pour faire tant de bruit dans le monde ? Elle vient du fond de l’Orient, et c’est l’une des mille métamorphoses d’un type de bohémienne suffisamment connu, qui a été créé et mis au monde par Cervantes dans une charmante nouvelle, que M. Victor Hugo a baptisé du nom d’Esmeralda, et que M. Scribe a reproduit ensuite sous toutes les formes. Dans les Diamans de la Couronne, elle se nomme Catharina, et M. Clapisson l’a particulièrement connue sous le nom de Fanchonnette. La reine Topaze est comme le solitaire de feu M. d’Arlincourt, elle voit tout, elle entend tout, elle est partout. Elle règne en souveraine dans Venezia la bella à la barbe de l’inquisition et du conseil des dix. Recueillie et protégée par un certain capitaine d’aventure qui se nomme Rafaël, elle lui a voué une reconnaissance si vive que cela peut bien passer pour de l’amour. Sur ce fond de légende ajoutez tous les incidens et toutes les intrigues que vous pourrez imaginer pour égayer le public pendant trois mortels actes, et vous connaissez l’histoire de la reine Topaze, qui n’est rien moins que la dernière des Salviati, grande famille vénitienne. Elle épouse, comme vous le pensez bien, le capitaine Rafaël, au grand déplaisir