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cet appui trop ostensible de lord Stratford n’a cessé depuis de peser sur le grand-vizir. C’est ce qui a expliqué dès le premier instant la peine qu’a eue Rechid-Pacha à former son ministère ; c’est ce qui a le plus contribué à le placer dans la situation difficile où il se trouve vis-à-vis du sultan, dont le choix a été contraint, vis-à-vis du corps diplomatique, qui fait peser sur lui des soupçons souvent immérités, vis-à-vis des personnages les plus considérables de l’empire ; tels que Aali-Pacha, Fuad-Pacha, Méhémet-Ali-Pacha, Méhémet-Kiprisli-Pacha et bien d’autres, qui ne veulent point se résigner à subir l’influence de l’ambassade d’Angleterre, et sans le concours desquels il n’est point cependant de combinaison politique possible. Il s’ensuit que Rechid-Pacha est réduit à mesurer chacun de ses pas, à calculer ses actes ; telle est même la force des choses, qu’il semble plus soumis à l’influence de lord Stratford qu’il ne peut l’être réellement, car c’est une loi de sa position de ne point incliner exclusivement vers l’une des deux grandes puissances qui ont préservé en commun la Turquie. La tâche n’est point facile, elle deviendra plus épineuse encore lorsqu’il s’agira d’appliquer le firman qui règle les conditions nouvelles des chrétiens. Rechid-Pacha a toujours travaillé soigneusement à sa popularité en Europe ; il a passé pour l’homme de la civilisation en Turquie. Il reste à traduire en réalités ces hommages si fréquens : au génie, aux mœurs, à la civilisation de l’Occident. Voilà la difficulté. C’est là, il est vrai, une affaire d’avenir. Pour le moment, la question d’Orient entre dans une phase d’enquêtes, de consultations et de vérifications. Pendant quelque temps encore, elle va être à Bucharest, à Jassy, avant de revenir à Paris, où sera souverainement décidé le sort des principautés.

Maintenant où en est cette autre question qui a également agité l’Europe, la question de Neuchâtel ? Elle est dans le demi-jour diplomatique, entre une crise qui finit et une négociation qui n’est point encore commencée. Quelle forme prendra cette négociation ? aura-t-elle le caractère d’une entente directe entre la Suisse et la Prusse, ou d’une délibération collective à laquelle toutes les puissances prendront part ? Dans ce dernier cas, où se réunirait la conférence européenne ? Ce sont des points sur lesquels rien ne semble encore résolu. La Prusse tiendrait à ce que la conférence se réunît à Paris ; la Suisse partage aussi cette opinion. Le choix de Paris semble devenir de jour en jour plus probable, quoique les antécédens de la question eussent pu naturellement désigner Londres. L’essentiel pour le moment, c’est que l’assemblée fédérale de Berne a sanctionné l’acte du pouvoir exécutif de la confédération, mettant en liberté les prisonniers royalistes de Neuchâtel et acceptant les bons offices de la France pour le règlement définitif de l’affaire. La Suisse, on ne peut le nier, s’est montrée animée de l’esprit patriotique le plus résolu durant toute cette crise. Elle n’a point hésité à accepter d’avance les rudes chances de la guerre, et elle s’y est préparée avec une singulière unanimité. Il est pourtant une chose qui s’est trouvée subitement aussi populaire que la guerre, c’est la paix, parce qu’après tout, le peuple suisse s’est senti délivré d’une lourde difficulté. Les seuls mécontens ont été quelques radicaux, parmi lesquels est M. James Fazy, qui a mis tout son zèle à rendre impossible cette issue si naturelle et si simple. Le jour où les conseils délibéraient à Berne, M. Fazy a eu la fantaisie bizarre de faire réunir une assemblée populaire à Genève pour attendre la décision qui serait adoptée et juger