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sans eau, sans aucune des ressources que réclame une exploitation de ce genre, et où une population errante, composée de tribus nomades, hostiles, fanatiques, verra un chemin de fer avec d’autant plus d’horreur que cette création lui paraîtra plus merveilleuse ? Les Bédouins n’y verront-ils pas une profanation sacrilège de ce sol que foula Mahomet et où reposent les membres de sa famille[1] ? S’ils s’opposent, les armes à la main, à cette domination de la vapeur, il faudra une armée pour protéger les travailleurs, des caravanes chargées de vivres pour les alimenter. Quand les rails seront posés, il faudra, pour en assurer la conservation, maintenir en permanence cette armée, et l’échelonner sur une longueur de 1,500 à 2,000 kilomètres. Les stations devront être des postes fortifiés, et les cantonniers, même si on les enferme dans des blockhaus, ne seront pas en sûreté. Il suffit de si peu de chose pour entraver la marche d’un convoi et exposer ceux qu’il transporte aux plus grands dangers, qu’il est douteux que l’exécution de ce projet soit possible. On ne saurait invoquer en sa faveur ni les chances de succès que promettent au canal de l’isthme de Suez des études attentives, ni une sécurité pareille à celle qui règne sur la route carrossable menant du Caire à Suez, ni enfin la brièveté du parcours. Le canal et la route de Suez ont une longueur de 100 kilomètres environ : c’est la vingtième partie de la distance qui sépare Alexandrette d’Ormus, la quinzième partie de celle qui s’étend entre Alexandrette et Bassorah, si l’on veut ne pas anticiper sur l’avenir et ne prendre que la partie avérée, du projet. Les Égyptiens ont l’habitude des usages ou des entreprises des Européens, qui sont nombreux dans leur pays. Méhémet-Ali, qui a donné à l’Égypte une vie nouvelle, et appelé à lui, pour l’aider dans son œuvre de régénération, les ingénieurs, les industriels, les militaires ou les négocians de l’Europe, a familiarisé les Égyptiens avec leurs travaux. Une voie quelconque peut donc être établie sans opposition dans une contrée assez rapprochée d’ailleurs du siège de son gouvernement pour que la volonté du pacha s’y fasse sentir efficacement. En serait-il de même dans les vallées du Tigre et de l’Euphrate, qui sont à des distancés énormes de Constantinople, où l’autorité très contestée des chefs turcs ne s’exerce guère au-delà des villes qui leur servent de résidence ? Que pourra être, dans les plaines du Djezirèh, la protection du pacha d’Orfa ou du pacha de Mossoul, exposés eux-mêmes à être tenus en échec dans les murs de ces deux villes par les Arabes ou les Kurdes ? Le gouverneur de la province de Bagdad sera-t-il plus puissant sur les tribus nombreuses qui campent dans les plaines de la Mésopotamie, lui que nous avons vu, malgré les forces dont il dispose, cerné dans son palais

  1. Dans les mausolées magnifiques de Kerbelah, au bord de l’Euphrate.