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Perse ne cacherait pas un projet longtemps mûri, celui de profiter de la première circonstance favorable pour s’emparer d’un littoral nouveau, convoité depuis bien des années. D’un côté, la prise d’Hérat ne balancerait-elle pas pour le châh la perte de l’Arabistân ? de l’autre, la possession de tout le pays qui s’étend le long du Golfe-Persique ne serait-elle pas beaucoup plus avantageuse à l’Angleterre que la perte d’Hérat, comme boulevard, ne lui serait préjudiciable ?

Une autre considération se présente. Voici longtemps que l’Angleterre cherche, par tous les moyens, à abréger la distance qui sépare la Méditerranée de ses possessions indiennes. Elle ne se contente pas du service régulier de bateaux à vapeur qu’elle a établi, par la Mer-Rouge, entre Suez et Bombay ; elle a tenté déjà la voie de l’Euphrate. La proximité de ce fleuve, qui n’est qu’à trois jours de marche d’Alexandrette, offrait de grands avantages ; mais le cours capricieux de ses eaux et les récifs ou cataractes qui empêchent la navigation l’ont forcée de renoncer à sa tentative, après avoir perdu un de ses bâtimens et quelques marins. Sans se décourager, elle a cherché ailleurs la ligne la plus courte pour arriver aux Indes. Aujourd’hui elle médite l’établissement d’un chemin de fer qui traverserait la Syrie, couperait la Mésopotamie, enjamberait l’Euphrate et le Tigre, pour aller déboucher quelque part sur le Golfe-Persique. On comprend combien cette voie serait avantageuse au commerce et à tous les intérêts de la compagnie des Indes, et si ce premier projet réussissait, de quelle importance ne serait pas pour l’Angleterre la possession du littoral du Golfe-Persique, qui est un pays plat, semblable aux rives du Tigre ! Les rails se prolongeraient alors jusqu’à Bender-Abassi ou Ormus. De ce point extrême jusqu’à Bombay, le trajet ne serait plus que de quatre ou cinq jours par bateaux à vapeur ; on pourrait réellement dire que la Grande-Bretagne et les Indes sont réunies. Sans vouloir abuser du droit d’interpréter les motifs qui font agir les gouvernemens, on arrive à soupçonner que l’occupation de l’Arabistân par le corps expéditionnaire anglo-indien est un des résultats cherchés par l’Angleterre, et qu’ainsi cette guerre se rattacherait au projet d’un chemin de fer dont les points extrêmes seraient à Alexandrette et à Ormus.

Cette nation si ambitieuse, il n’est pas étonnant de la voir méditer, élaborer, toute gigantesque qu’elle soit, une entreprise qui mettrait en communication directe la Méditerranée et la Mer des Indes. Peut-être même entre-t-il dans ce dessein quelque intention d’annihiler une entreprise rivale et française, le percement de l’isthme de Suez. Malheureusement le plus difficile n’est pas d’enfanter des projets, mais de les faire réussir, et pour qui connaît ces contrées, il est douteux que celui-ci se réalise bientôt. Comment faire passer une voie ferrée à travers des pays déserts, sans culture, par suite sans alimens,