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quant à l’agent qui avait fomenté cette insurrection avortée, il s’échappa. L’autorité du châh fut raffermie, et de toute cette émotion il ne resta que deux faits qui survivent et doivent éclairer l’avenir : le dessein sérieux de l’Angleterre de prendre pied dans le sud de la Perse, et le dessein sérieux de la Russie de s’y opposer.

Il est certain que le lit du Karoûn est une porte ouverte par laquelle l’Angleterre peut, au moyen de sa marine, pénétrer en Perse et porter au royaume d’Iran un coup sensible ; mais si elle parvient à faire cette pointe dans les états du châh, lui sera-t-il possible de s’y maintenir, de s’y affermir, et les sentimens des habitans du pays, hostiles à tout Européen, leur caractère farouche et leur naturel belliqueux n’empêcheront-ils pas, du moins pour le moment, tout établissement permanent ?

Les vues ambitieuses de l’Angleterre sur ces contrées ne sont point de date récente ; mais on voyage si peu en Asie, que l’on n’en connaît guère que ce qu’en veulent bien dire les Anglais eux-mêmes. Aussi ne sait-on peut-être pas qu’il y a quelques années la compagnie des Indes ou le cabinet de Saint-James, car leurs intérêts et leur but sont les mêmes, a hasardé auprès du gouvernement ottoman une insinuation pour l’amener à vendre à l’Angleterre tout le territoire ou pachalik de Bagdad, c’est-à-dire un pays beaucoup plus vaste que l’Angleterre. Bagdad est sans contredit l’un des points les plus importans du continent asiatique. Sa position sur un grand fleuve qui descend vers l’Océan indien, sa situation à l’extrémité de l’empire turc et presqu’à la limite de celui des Anglais, touchant à la frontière de Perse et à celle de l’Arabie, lui donnent une importance incontestable comme centre d’action politique. De plus, Bagdad est au milieu d’un territoire dont la fécondité serait incalculable, si l’on y faisait revivre l’industrie des Babyloniens, et si l’on y rajeunissait l’antique civilisation chaldéenne par celle de l’Europe moderne. Des monts Kardouks au Golfe-Persique, de la chaîne des Zagros à l’Euphrate, s’étend une contrée immense, arrosée par cent rivières, traversée par les canaux de Sémiramis, dont les Romains se servirent les derniers. Partout la terre généreuse appelle la culture, et ne demande que des bras pour égaler les richesses de l’Inde ou de l’Arabie-Heureuse. Là, l’indigo, le sucre, le café, le coton, le plus beau froment, enrichiraient des milliers de colons qui y apporteraient leur science agricole, les arts d’une civilisation que le Bédouin, maître de ce pays, ne méprise que parce qu’il n’en sent pas le prix. Pour s’approprier ce pays si vaste et si beau, il faudra sans doute que longtemps encore l’Angleterre ait recours aux artifices de sa diplomatie, car il ne paraît pas probable que la fierté ottomane s’abaisse jusqu’à le vendre à prix d’or.

On se demande si l’expédition que l’Angleterre dirige contre la