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d’une poignée de ces tuffekjis, qui sont bons tireurs, pour tuer un à un tous ceux qui s’engageraient dans cet étroit défilé. Et si les défenseurs de ces Thermopyles persanes, par une de ces ruses qu’inspirent les pays de montagnes, laissaient l’armée anglaise s’avancer tout entière dans ces gorges pour l’y décimer plus sûrement, elle pourrait bien y trouver un nouveau Djellalabad. Cet horrible désastre n’est pas assez éloigné pour que l’Angleterre en ait perdu le souvenir. Les passes qui mettent en communication la vallée de l’Indus avec le plateau de l’Afghanistan sont analogues à celles qui conduisent de Bouchir à Kazèroûn. Ce sont les mêmes lenteurs, les mêmes difficultés. Au siècle dernier, Nadir-Châh, voulant pénétrer dans le royaume de Delhi, fut arrêté court devant ces défilés. Il y perdit un grand nombre de ses soldats, et ne put les franchir qu’en achetant au prix de sommes énormes le droit de passe. En 1838, l’armée anglaise fut plus heureuse, mais alors un parti nombreux souhaitait son arrivée dans l’Afghanistan : elle y ramenait un souverain dépossédé par une guerre civile et regretté par les populations. Les Anglais étaient à cette époque les alliés des Afghans, et n’avaient pour adversaires que les rares partisans d’un prince qui s’était aliéné l’esprit et le cœur de la nation : il ne restait que les obstacles naturels, et ceux-là, on finit toujours par les vaincre. Dans la campagne de 1842, ce fut autre chose : les populations ne favorisaient plus l’arrivée des Anglais. Les défilés des monts Khaybers, au lieu de s’ouvrir devant leur armée, se trouvèrent fermés et garnis d’intrépides défenseurs. On sait le carnage qui se fit près de Djellalabad. Chose inouïe, les troupes anglo-indiennes y furent presque entièrement anéanties ! Exemple terrible, qui prouve qu’on ne peut passer de pareils défilés sans avoir pour soi ceux qui pourraient les défendre !

Dira-t-on qu’il y a d’autres chemins pour gagner les hauteurs, échapper aux vapeurs pestilentielles de la côte et menacer la cour de Téhéran de plus près ? Sera-ce du côté de Darâbgherd, à l’est, ou vers Bebahân, à l’ouest ? Les difficultés sont les mêmes. La chaîne de montagnes, avec ses ramifications qui s’enchevêtrent à l’infini, est fermée partout, ou ne présente que des défilés impénétrables à une armée marchant en pays ennemi. Nous sommes allé de Bouchir à Darâbgherd ; nous avons pénétré au cœur des montagnes par l’anfractuosité qui s’ouvre près d’Ahram, la seule qui existe dans cette direction : voici les obstacles que nous y avons rencontrés.

Entre deux murs de rochers à pic, droits et resserrés, on marche lentement dans le lit d’un petit torrent. Il faut escalader la montagne de roche en roche et y disputer, à chaque instant, le passage aux eaux furieuses qui bondissent d’une cascade à l’autre. Les chevaux perdent pied sur la pierre, ou glissent sur une vase verdâtre qu’entretient l’eau jaillissante. Ce n’est qu’en mettant pied à terre