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En 1836, M. Ellis reconnaît que le prince d’Hérat « a manqué à ses engagemens, » et que le châh « est en droit d’exiger satisfaction par la force des armes. » Puis, rappelant que l’Angleterre, en diverses négociations, avait confirmé le droit de la Perse « d’agir envers l’Afghanistan en toute liberté, » il ajoute « qu’il lui paraît difficile d’empêcher l’expédition d’Hérat[1]. » M. Ellis est rappelé, et M. Mac-Neil lui succède. La politique anglaise suivie à Téhéran va-t-elle changer de langage ? Point du tout. Voici comment M. Mac-Neil s’exprimait dans une dépêche qu’il adressait à lord Palmerston en 1837 : « Je suis porté à croire que le prince d’Hérat étant l’agresseur, il ne saurait exister de doute quant à la justice de la guerre que le châh veut entreprendre… »

Cependant il était difficile que M. Mac-Neil se fît illusion, et qu’il ne reconnût pas la main de la Russie, qui, poussant le châh contre Hérat, cherchait à gagner, derrière elle, une grande étape sur la route des Indes. Sans doute il ne croyait pas au succès des armes persanes, ou peut-être se réservait-il de le paralyser suivant les circonstances. Après avoir assez mollement travaillé à dissuader Mohammed-Châh de cette expédition, M. Mac-Neil se résigna à l’accompagner, pensant qu’au besoin sa présence pourrait servir la cause des Hératiens, qui commençait à devenir celle même de l’Angleterre. Il était bien inspiré, car le cabinet de Saint-James et le gouvernement de l’Inde anglaise lui firent parvenir, tous deux à la fois, des instructions portant qu’il devait tout faire pour empêcher la prise d’Hérat. L’Angleterre, changeant de tactique, oubliant les termes du traité de 1800, se décidait à désarmer le bras dont elle avait été fort aise de se servir pour tenir tête aux princes afghans dans le temps où ceux-ci lui paraissaient redoutables.

La campagne était déjà commencée : elle fut longue. La persévérance des Persans égala le courage des Hératiens. Le récit de cet épisode militaire ne sera peut-être pas sans intérêt, aujourd’hui que les mêmes lieux ont vu reparaître les mêmes adversaires.

Mohammed-Châh avait réuni ce qu’il avait de meilleures troupes, ses serbâs[2] formés à l’européenne ; il avait fait appel aux contingens irréguliers de toutes les provinces de son royaume, et, quoique impotent, il se mit à leur tête. Les marches furent longues et pénibles. Il fallait traverser les plaines arides et désertes du Khorassân ; quarante jours y suffirent à peine. L’armée traînait à sa suite une foule innombrable d’artisans de toute sorte, d’industriels de tout genre, faute de quoi elle eût manqué des choses de première nécessité. On s’établit devant Hérat ; on enserra la ville d’un vaste

  1. Dépêche de M. Ellis à lord Palmerston, avril 1836.
  2. Infanterie organisée à l’européenne. Voyez, sur l’armée persane, la Revue des Deux Mondes du 15 novembre 1851.