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n’ait pas les moyens de croire, quelle responsabilité ne pèse pas sur les chrétiens qui ne viennent pas au secours de son ignorance ! De là les écoles populaires, l’enseignement protestant, le zèle et l’activité des associations laïques dans tous les pays réformés. Ainsi cette doctrine de la grâce qui paraît si tyrannique à M. Michelet non-seulement dans son principe contient la plus complète liberté individuelle, mais dans ses conséquences devient un stimulant de liberté sociale singulièrement actif.

Nous ne pouvons tout dire sur ces deux grands mouvemens et sur leur histoire. Résumons en quelques mots les deux points essentiels que nous ayons voulu mettre en lumière. Le XVIe siècle, qui a engendré ces deux grands mouvemens, la renaissance et la réforme, contient en germe toute l’histoire moderne et toute l’histoire future. Rien n’a pu arrêter, rien n’arrêtera jamais plus l’impulsion qu’il a donnée. Loué, anathématisé, ce qu’il a fait ne peut désormais être remis en question sans nous remettre en question nous-mêmes, nous, nos intérêts, nos mœurs, nos idées. Ce sont divertissement frivole et vain dilettantisme de parole que de rechercher si la réforme est une révolte ou la renaissance un retour au paganisme. À la distance où nous sommes du XVIe siècle, nous n’apercevons plus aucune de ses imperfections, et nous ne ressentons plus aucun de ses maux. Où sont maintenant les guerres de religion, les massacres sanglans, les guet-apens ? Que nous importent les orgies anabaptistes et les persécutions de Calvin ? Nous ne souffrons point de toutes ces misères (nous avons assez des nôtres), mais nous jouissons des bienfaits que la réforme a conquis pour nous, de la liberté de conscience, de la tolérance, de tous les sentimens de responsabilité et de toutes les émotions élevées et nobles qu’une religion librement interprétée a fait passer en nous. Nous n’avons plus à rougir des orgies de l’Italie, des mascarades pédantesques de l’érudition, des priapées renouvelées de l’antique, des bouffonneries et des platitudes grossières des savans du XVIe siècle ; il ne nous reste de la renaissance qu’une grande idée d’humanité et le pressentiment sublime de la réconciliation des tribus humaines. Le XVIe siècle vit donc épuré en nous, et il vivra jusqu’à la fin des temps. Berceau éternel de l’avenir, fut-il la tombe du passé ? Non ; nous l’avons trouvé deux fois d’accord avec la tradition elle-même, d’accord par la renaissance avec la tradition du genre humain renouée par elle, d’accord par la réforme avec la tradition chrétienne et les promesses de l’Évangile. Il n’a rien détruit ; il a rouvert les sources obstruées et recommencé la vie, une vie qui ne s’éteindra plus !


EMILE MONTEGUT.