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car ce fut lui qui brisa le pouvoir du clergé catholique partout où le protestantisme réussit à vaincre. Par lui, le pouvoir religieux passa du prêtre au laïque ; par lui, la réforme fut la seconde étape historique du christianisme ; par lui fut continuée la tradition chrétienne, et furent accomplies en partie les promesses de l’église. Qu’est-ce que la réforme en effet ? Est-ce une révolte contre la tradition établie, un retour à l’église primitive, une rupture violente avec un passé récent pour arriver à la conquête d’un passé plus lointain ? Luther le pensait lorsqu’il s’imaginait revenir à l’église primitive, et qu’il croyait restaurer et non innover. Au fond, il ne restaurait et n’innovait ; il continuait sans en avoir conscience et d’instinct la tradition véritable, depuis des siècles arrêtée et immobilisée. Qu’était l’église catholique en effet au temps de Luther, si l’on fait abstraction de son développement extérieur, de sa puissante hiérarchie, de ses collèges de cardinaux, de ses légions monastiques ? Il semble qu’elle était bien loin du point de départ du christianisme ; au fond, son développement était tout extérieur, et la doctrine chrétienne, avec toutes les espérances qu’elle renferme, en était restée à sa première forme et à sa première étape. Comme au temps des catacombes et des premiers docteurs, l’église représentait essentiellement le christianisme de la prédication. Quinze cents ans d’enseignement n’avaient pas suffi, paraissait-il, pour faire passer la religion dans les âmes. Le prêtre, comme au temps des apôtres, possédait seul tout le pouvoir divin. Dépositaire de la grâce, il la répandait ou la retenait selon ses inspirations propres ; l’homme n’avait de relations directes avec Dieu que par un intermédiaire. La parole de Luther mit fin à l’immobilisation de ce premier état du christianisme, et rouvrit la tradition. « Sommes-nous donc encore des païens et des gentils non convertis ? s’écria-t-il, et est-ce pour la première fois que nous entendons la parole divine ? Le Christ est-il mort pour nous tous, ou seulement pour les prêtres ? Et s’il est mort pour nous tous, de qui devons-nous espérer notre salut ; si ce n’est de lui seul ? C’est donc lui qu’il nous faut entendre, c’est de sa parole directe qu’il faut nous abreuver, c’est lui qui est le seul maître de l’église. » C’est ainsi que Luther fit passer à l’individu le don de la grâce conservé jusque-là au prêtre. Par là il transporta le christianisme dans la vie humaine, au foyer domestique ; il le tira du temple et le mêla à tous les actes de l’homme. Les conséquences de cette évolution religieuse étaient faciles à prévoir : si l’homme ne doit plus attendre son salut que du Christ et de lui-même, il doit croire au Christ, et pour cela il faut nécessairement qu’il ait en main le moyen de croire. De là la lecture de la Bible, et par suite la libre interprétation des Écritures et le triomphe de la liberté de l’esprit. Si l’homme ne peut être sauvé que par la croyance et qu’il