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ce génie avec exactitude, les pamphlets de Hutten et les colloques d’Érasme contre les moines, ou les conceptions semi-catholiques, semi-païennes des artistes italiens ? La renaissance sera-t-elle un joyeux enterrement du passé qui s’éteint, célébré par la poésie fantasque et gaie de l’Orlando et par la prose du Don Quichotte ? Si c’est au contraire une préparation de l’avenir, où la chercherons-nous ? Dans les utopies bouffonnes du novateur Rabelais, ou dans les graves utopies du conservateur Thomas Morus ? Quant à son idéal de sagesse, où le trouver ? Dans Montaigne, ou dans son jeune et impétueux ami, La Boëtie ? Plus nous multiplierions les noms propres, plus nous rencontrerions de contrastes, de différences, d’anarchie. Jamais armée n’a été plus indisciplinée, moins commandée que cette foule confuse d’hommes de toutes couleurs et de tous partis qui compose ce qu’on peut appeler l’armée de la renaissance.

Telle est donc la renaissance, — une énigme inexplicable si on essaie de la dégager du tumultueux tourbillon de la vie qui fut propre au XVIe siècle, si on essaie de la voir seule et d’en chercher le sens propre. Aussi toutes les explications qui ont été données de ce mouvement sont-elles singulièrement incomplètes ; pour les uns, c’est une révolte de l’esprit laïque contre l’esprit ecclésiastique ; pour les autres, c’est l’avènement de la raison sur la scène de l’histoire ; pour le plus grand nombre, ce n’est rien que l’antiquité retrouvée et la substitution du latin de Cicéron au latin scolastique. Quelques personnes enfin ont de nos jours anathématisé la renaissance comme un retour au paganisme. Ces explications insuffisantes, la renaissance les contient toutes et les dépasse encore, car la renaissance, ce n’est pas une doctrine, c’est un phénomène ; ce n’est pas un parti, c’est une époque tout entière, avec ses contrastes et les accidens de sa vie. Si l’on veut lui donner un sens précis, il est impossible de trouver un mot plus profond et plus heureux que son nom même, renaissance, nouvel enfantement de la nature, nouveau printemps de l’âme. La renaissance, prise dans son ensemble, c’est donc le point de départ, le recommencement de la vie après une civilisation épuisée. Dès-lors s’expliquent tous ses contrastes et tous ses tâtonnemens. Les vieilles institutions tombent en poussière et les nouvelles n’existent plus ; chacun va pour son propre compte en avant, un peu à l’aventure, interrogeant tous les faits, se mêlant à tous les partis.

M. Michelet déplore l’avortement de la renaissance, triste avortement en effet, mais très explicable. Il note la décadence rapide de ce grand mouvement, et gémit sur la mort des espérances qu’il avait fait naître. La distance est grande entre le commencement du siècle et la fin, mais il ne pouvait en être autrement. La renaissance, n’étant pas un système, un enchaînement logique d’opinions, ne put jamais songer à se transformer en parti politique, et se contenta de