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éloigne. Ces deux grands faits ne nous apparaissent jamais en eux-mêmes, mais à travers les personnages illustres qui ont rempli cette époque, à travers Michel-Ange, Luther, Albert Dürer, Marguerite de Navarre, Coligny. Leur lumière n’est pas réfléchie dans une glace unie qui puisse en assembler les rayons et nous en renvoyer une image nette et fidèle, mais comme dans un miroir à facettes qui décolore, brise et multiplie les rayons. Nous avons là en un mot les avatars et les métempsycoses successives de la renaissance et de la réforme ; nullement l’âme elle-même et la personnalité abstraite de ces deux faits. Nous voyons bien, si nous pouvons parler ainsi, les incidens et les aventures, les orages successifs de leur vie ; nulle part nous n’embrassons cette vie elle-même, et nous ne la contemplons dans son unité et en dehors de ses vicissitudes.

Mais comme ce talent prend sa revanche aussitôt qu’il s’agit de peindre, et comme cette nature impressionnable, qui le rend impropre à lutter avec les idées abstraites, le sert bien lorsqu’il s’agit d’introduire un personnage, d’éclairer un paysage, de rendre le charme moral d’une œuvre d’art ! Alors il trouve en lui des ressources inattendues et une surabondance luxueuse d’images, de comparaisons, d’analogies. Il prodigue à pleines mains ces images et ces analogies, avec excès et sans choix ; mais, avec le sentiment instinctif du véritable artiste, il se trompe rarement sur celles qu’il doit employer. Il y en a trop, et il fallait choisir ; toutes néanmoins expriment bien sincèrement l’impression reçue : il y en a de bizarres et d’étranges, jamais aucune qui soit choquante et vulgaire. De même, pour les couleurs qu’il jette avec profusion : elles peuvent être parfois trop voyantes, trop éclatantes, elles ne sont jamais fausses. Les dernières ressources du langage ont été mises parfois à contribution pour exprimer telle impression qui par sa nature échappe à l’art de l’écrivain. Cette organisation d’artiste, qui semblerait lui interdire les facultés d’observation, l’entraîne plus loin que là où ces facultés pourraient le conduire. Grâce à la rêverie, à l’imagination, il découvre accidentellement certains traits de moraliste que les maîtres eux-mêmes, ne désavoueraient pas. Quant à ses portraits, on peut dire hardiment que lorsqu’ils sont parfaits, personne depuis Saint-Simon n’en a peint d’aussi vivement colorés et d’aussi francs. Il y en a de toute sorte dans ses livres : grands portraits en pied, officiels et d’apparat, portraits en buste de la même personne aux différens âges de la vie, esquisses, légers pastels, croquis à la plume, simples profils tracés en deux traits rapides, et d’une main hardie, tous d’une ressemblance frappante, car le trait caractéristique de la physionomie a été cherché avec curiosité et saisi avec bonheur.

Je ne sais pourquoi les portraits tracés par la plupart des historiens