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ni leur tempérament, ni leur bonheur, ni leurs infortunes, Dans la trame de son style et dans les couleurs de sa pensée sont entrées toutes les émotions de la journée, tous les caprices de l’heure présente, les mille rapides impressions fugitives, les petites influences de la nature ambiante. On pourrait presque noter page par page, ou plutôt deviner ces influences et ces émotions. Cette page acerbe et violente a été écrite un soir où la mauvaise humeur politique l’emportait sur la réflexion ; cette page mélancolique témoigne d’une journée grise et nuageuse ; cette autre, tout illuminée comme un visage reluisant d’une douce fièvre, a été le résultat de vives impressions musicales » Bref M. Michelet est une individualité avant d’être un historien ou un publiciste ; on sent en le lisant une nature particulière, avec ses goûts, ses singularités, ses humeurs. C’est là son grand charme, et c’est là aussi sa faiblesse : quand il nous blesse et qu’il nous ravit, il nous blesse et nous ravit personnellement, absolument comme le font chaque jour les personnes vivantes que nous rencontrons, et pour lesquelles nous éprouvons, selon les lois des affinités mystérieuses, une sympathie ou une antipathie invincible.

Cette personnalité si accusée facilite singulièrement et entrave néanmoins la tâche de M. Michelet. Elle rend facile la tâche du narrateur et de l’artiste, presque impossible celle du juge. M. Michelet est incapable de dominer sa nature et de se placer en dehors de lui-même. Le défaut principal de son talent apparaît surtout lorsqu’il s’engage dans les idées abstraites. Dès qu’une idée cesse de se manifester à lui sous une forme sensible, elle lui échappe, et il s’épuise en efforts infinis pour la conquérir. En vain il l’appelle dans des phrases pleines d’une émotion quasi mystique, en vain il la poursuit de ses désirs ardens et l’interpelle presque avec des larmes, elle refuse de se laisser saisir. Aussitôt qu’il pose le pied sur le domaine des idées générales, tout devient confusion, désordre et chaos. Quand on vient de lire ses quatre volumes sur le XVIe siècle, on est rempli d’impressions laissées par le spectacle des événemens. On assiste à la représentation en quelque sorte de l’époque, on en revient comme d’un voyage, d’une longue excursion, plein de souvenirs, d’éblouissemens, d’anecdotes curieuses. On a vu les fêtes des Borgia, le martyre de Savonarole, la cour de Fontainebleau, le sombre intérieur de l’Escurial, les voûtes de la chapelle Sixtine et l’atelier d’Albert Dürer, et cependant ou n’a aucune idée générale et bien précise du XVIe siècle. La renaissance et la réformation nous ont en grande partie livré le spectacle de leurs tumultueux mouvemens, mais ne nous ont pas dit leur secret. Qu’est-ce que la renaissance ? Qu’est-ce que la réformation ? En mille passages de son livre, on croit saisir l’explication désirée, une boutade vient à la traverse et nous en