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distinguées chacune par une tendance spéciale et s’accordant toutes sur ce point commun, qu’elles inventent, poétisent et interprètent au gré de leur imagination les scènes qu’elles représentent. Puis l’observation de ces résultats divergens a suscité des remarques critiques. On a, en étudiant les œuvres, résumé les caractères communs que l’on y découvrait, et l’on a posé en principe que le but de la peinture est plus philosophique que réaliste, qu’il y entre autant d’invention que d’imitation, et qu’elle cherche, par des conventions consacrées, non la copie réelle, mais la reproduction arrangée de la nature. La physique vient à son tour mettre son œil curieux dans un domaine qui lui est étranger, et c’est pour justifier cette manière de voir par le plus irréfutable de tous les argumens : il faut bien laisser aux artistes les libertés qu’ils ont prises, puisqu’ils ne peuvent s’en passer ; il faut bien leur permettre de ne pas faire des copies vraies, puisqu’ils ne le pourraient pas s’ils le voulaient.

En même temps qu’elle est amenée à justifier les pratiques de la peinture d’imagination, l’optique se trouve dans la rigoureuse nécessité de remplir un devoir vis-à-vis de l’école réaliste, celui de lui dire qu’elle poursuit une chimère. Il y a eu dans tous les temps des hommes qui ont tenté des recherches impossibles : des alchimistes ont cherché l’or, des médecins le remède universel, des savans le mouvement perpétuel ; il faut à cette liste ajouter aujourd’hui le nom des réalistes. Puisqu’ils veulent obtenir la vérité, ils provoquent l’examen de la science. Du moment que l’exactitude est leur but, le photomètre devient leur juge, et il ne trouve dans leurs tableaux absolument rien qui ne ressemble à tous les autres. Le réalisme n’a point étendu les limites des éclats que la peinture peut aborder ni rapproché celles que la nature nous offre. Il a fait ce que tout le monde avait produit avant lui ; il a fait moins vrai que Decamps, qui avait à la fois plus de modestie et plus d’habileté. Ce n’était pas la peine d’afficher si haut une si grande prétention qui se justifie si peu, et de prendre comme titre celui de tous les noms qu’il est le plus impossible de mériter. Non, la peinture n’est pas la vérité, le réalisme est un but qu’il ne faut pas chercher, parce qu’on ne peut l’atteindre. Il en est un autre dont il faut se contenter, mais qui, étant plus philosophique et plus moral, place la peinture plus haut dans notre estime que ne le ferait l’exactitude scientifique, si on pouvait l’obtenir. Je m’estime heureux d’être arrivé à cette conclusion, et de n’avoir introduit la physique dans ces questions que pour lui faire jouer un rôle qu’on n’attendait pas d’elle, celui de rappeler au spiritualisme la peinture qui tend à l’oublier.


Jules Jamin.