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remarqué que leurs tableaux contiennent des ombres plus foncées et des lumières plus vives, et il y a tels tableaux de Decamps, par exemple, où l’effet du soleil mesuré par le photomètre est compris dans les limites de la vérité naturelle. Si donc d’autres artistes, et c’est le plus grand nombre, se sont écartés de la nature, cela ne tient pas, pour le cas que j’examine, à une impossibilité d’atteindre la vérité, mais à une habitude mauvaise qu’il est possible de corriger.

Je vais citer un second exemple simple et étudier un autre effet de lumière. Quelques peintres ont eu comme la spécialité de reproduire des scènes de nuit, et c’est presque toujours une lampe blafarde qui, placée au milieu de la toile, éclaire un intérieur où l’on voit les objets avec des clairs vifs et des ombres très obscures. Je compare la lumière de la lampe à celle des points les mieux éclairés, et je trouve généralement un rapport compris entre 20 ou 30 ; puis je reproduis une scène semblable : je place dans une chambre une bougie, j’en approche une feuille de papier ; celle-ci s’illumine, et je cherche le rapport de l’éclat de la bougie à celui que reçoit la feuille. Il est égal à 1,500, la bougie est donc quinze cents fois plus lumineuse que le papier dans la réalité ; elle est trente fois seulement aussi éclairée dans les tableaux, et on ne peut nier qu’il n’y ait là une convention.

Bien que je ne veuille pas mettre des noms propres en cause, je ne puis m’empêcher de citer Granet, et si je veux analyser ses toiles, c’est qu’il a produit des effets qui ont frappé tout le monde : « Monsieur Granet, disait Louis XVIII, on m’assure qu’un de vos capucins vient d’éternuer. » Granet avait accompli une espèce de révolution ; il avait forcé les lumières, exagéré les ombres, et l’on ne se lassait pas d’admirer, à cause de l’illusion qu’ils produisaient, des tableaux peu variés d’ailleurs, si ce n’est par leur titre ou leurs accessoires. Une salle obscure et voûtée, cloître, église ou souterrain, une fenêtre au fond qui laisse voir le ciel et éclaire la salle, des personnages bien éclairés, de grandes ombres projetées, tels sont les tableaux de Granet : une vive lumière sur la partie du ciel qu’on aperçoit, une grande obscurité dans tout le reste, tels sont les moyens employés pour produire l’illusion. J’ai étudié chacun de ses tableaux, j’ai en particulier comparé l’éclat du ciel aux châssis de la fenêtre : le ciel est de quatre à six fois plus éclairé que les châssis.

Désirant apprécier la vérité de ces tableaux, j’ai cherché des scènes analogues ; j’ai choisi un cabinet éclairé par une fenêtre centrale, dont les châssis nouvellement peints présentaient une grande analogie avec les exemples de Granet, et me plaçant en face de la fenêtre avec un photomètre, j’ai trouvé que le ciel avait quatre cents fois plus d’éclat que les châssis. La vérité des tableaux de Granet est donc entièrement illusoire.