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uns des autres, ou qu’ils n’ont de contact qu’à la condition d’oublier leurs occupations spéciales. Cela n’a rien qui doive nous étonner ; ils ne parlent pas la même langue : l’un voit la perfection dans la régularité des lois mathématiques, l’autre met son idéal dans l’harmonie des formes et des couleurs ; l’un emploie le langage de l’algèbre, et il n’y a rien de plus discordant pour un artiste, l’autre a un sentiment passionné de la beauté, et il n’est rien que le savant comprenne si peu. Mais si acceptant la même langue, oubliant les divergences de but qui les séparent, les artistes et les savans se souvenaient un peu plus qu’ils sont soumis à cette nécessité commune d’observer les apparences optiques des objets naturels, ils mettraient en commun, pour en profiter séparément, une nombreuse série de faits qui les intéressent au même degré.

Si je restais dans ces termes généraux, on répondrait que l’inspiration qui donne la vie aux arts ne peut se plier aux nécessités de précision qui sont demandées aux sciences exactes, et que, loin d’enfermer l’artiste dans les limites de la réalité physique, il faut laisser à son imagination toute liberté d’interpréter pour la rendre plus poétique la scène qu’il veut représenter. Je suis loin de le nier, mais il y a sur ce point une distinction importante à établir. Que Raphaël peigne la Sainte Famille, Corrège le Mariage de sainte Catherine, Murillo ses vierges enveloppées d’anges et baignées dans une lumière mystique, ils font des œuvres où la réalité n’a pas à se montrer, dans lesquelles le sentiment religieux domine au point d’effacer du tableau comme de l’esprit des spectateurs tout souvenir de la terre et toute pensée d’imitation servile. La même observation s’applique à toutes les toiles où les artistes, poètes sans être imitateurs, philosophes et non copistes, ont écrit sur la figure humaine les faiblesses du cœur ou les orages des passions, les grandeurs de l’âme ou les misères de l’humanité, avec le seul désir d’inspirer aux spectateurs les pensées qui les dominent, ou de fixer dans une image raisonnée les vers des poètes et les récits de l’histoire ; la vérité que cherchent ces artistes n’est point la vulgaire vérité des yeux, c’est la réalité des sentimens et des pensées, et ils l’atteignent en se maintenant dans des conditions optiques qu’ils choisissent à volonté, et où les effets de lumière et d’ombre sont subordonnés à un sentiment plus élevé, sans être assujettis aux règles de la physique. Cependant auprès de ces peintres philosophes il s’en trouve qui n’ont point donné à leur art un but aussi spiritualiste. À côté des toiles qu’ils ont signées, on voit des tableaux exécutés dans une intention toute différente : ce sont les souterrains de Granet, c’est la Cuisine de Drolling, ce sont les intérieurs flamands ou les paysages modernes, dans lesquels la figure humaine n’intervient que comme un accessoire souvent maltraité. Ici tout est subordonné au désir de copier la vérité