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mais les forces réunies de la Russie, de la Prusse, de l’Autriche et de la Suède lui étaient supérieures de plus du double. Ce n’étaient plus des armées, c’étaient des peuples tout entiers en quelque sorte que ces puissances avaient levés et enrégimentés. La Prusse à elle seule avait fait des efforts inouis : sur une population de 5 millions d’âmes, elle était parvenue à mettre en ligne environ 250,000 hommes. La Russie avait fait également d’immenses levées, et l’on évaluait à plus de 150,000 le nombre des nouveaux soldats qui étaient en marche pour rejoindre ou qui avaient déjà rejoint Barclay de Tolly. Enfin l’armée autrichienne était de 350 à 400,000 hommes, dont 120,000 étaient rendus sur le terrain et prêts à déboucher de la Bohême, soit par la rive droite, soit par la rive gauche de l’Elbe. La même disproportion se manifestait dans les armes spéciales. Napoléon avait porté jusqu’à 1,250 le nombre de ses pièces de canon attelées ; mais la Russie, la Prusse, la Suède et l’Autriche allaient nous en opposer 1,800. Leur grande supériorité consistait surtout en cavalerie ; elles avaient 100,000 chevaux presque tous excellens et montés par des cavaliers expérimentés, tandis que Napoléon, malgré l’activité qu’il avait déployée, les énormes dépenses qu’il avait faites, n’avait pu en rassembler que 40,000, dont beaucoup de qualité très médiocre et montés par des conscrits qui possédaient à peine les premières notions de l’équitation.

L’armée, qui venait de faire avec tant de gloire et de succès la première campagne de Saxe, était, comme nous l’avons dit, une armée de choix. Il n’en était pas de même par malheur des 200,000 hommes levés en 1813, conscrits encore imberbes et dont l’éducation militaire était à peine ébauchée, les uns arrachés avec effort aux entrailles de la France, les autres tirés de la Hollande, de la Saxe, de la Westphalie, de la Bavière, des états du Rhin, aujourd’hui encore nos auxiliaires, reçus et traités dans nos rangs comme des frères d’armes, et pourtant déjà nos ennemis de cœur, attendant impatiemment le moment de tourner contre nous leurs épées et leurs canons. Quant aux chefs de l’armée, ils mollissaient visiblement. La perte de tant de généraux morts en Russie, celle plus récente de Bessiére et de Duroc, avaient attristé les plus fiers courages, et trop de bouches laissaient échapper cette parole sinistre et dissolvante : « Nous y resterons tous. » Napoléon assistait avec une tristesse inexprimable aux défaillances de ces âmes naguère si intrépides, aujourd’hui à bout d’énergie et d’héroïsme. La France elle-même, épuisée par vingt années d’efforts inouïs, rassasiée d’une gloire payée trop cher, ne formait plus qu’un vœu, celui que l’empereur pût faire promptement la paix, dût-il l’acheter au prix des plus grands sacrifices. Sa jeunesse virile, moissonnée chaque année, ne lui offrait plus que de