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de quelque durée, c’était là une résolution extrême qui devait répugner au fier génie qui gouvernait notre pays.

Les intérêts engagés de toutes parts étaient si grands, les passions si violentes, que nulle part il n’y avait assez de sang froid pour démêler la vérité de l’erreur. Tous se défiaient les uns des autres ; toutes propositions étaient accueillies par le parti adverse avec défiance, interprétées comme des pièges, repoussées comme des dangers. La duplicité qu’avait montrée l’Autriche depuis six mois légitimait, dans l’esprit de Napoléon, les plus graves soupçons. La paix proposée n’était peut-être qu’une ruse de plus, une sorte de capitulation déguisée, un moyen de dégager l’Allemagne, de nous ravir d’un seul coup toutes les forteresses et toutes les positions que nous occupions dans ce pays et de nous rejeter au-delà du Rhin. La paix faite dans de telles conditions ne romprait point les nœuds de la coalition ; elle les resserrerait au contraire. Pas un bataillon ne serait licencié, pas un escadron réformé, pas une batterie démontée. Le théâtre du champ de bataille serait simplement déplacé et reporté, dans une époque prochaine, du bassin de l’Elbe dans la vallée du Rhin.

Ce n’est pas tout : l’Autriche ne laissait à l’empereur Napoléon que quarante-huit heures pour recevoir son ultimatum, en prendre lecture et se décider. S’il l’acceptait, il fallait, que ce fût sur l’heure, sans y changer un mot, et c’était à un souverain qui avait battu ses ennemis en toutes rencontres que l’empereur François, son beau-père et hier encore son allié, adressait une telle sommation !

À ne consulter que son légitime orgueil et l’audace naturelle de son génie, Napoléon n’était que trop disposé à en appeler une dernière fois à son épée. Il appartenait à cette race indomptable des héros que l’obstacle raidit et enflamme, que le péril attire et enivre, et qui se plaisent naturellement au jeu sanglant des batailles, parce qu’ils y trouvent gloire, conquêtes et grandeur. Si le salut était quelque part, n’était-ce pas dans une de ces victoires décisives qui tant de fois avaient mis l’Europe à ses pieds ? Et pourquoi ne la gagnerait-il pas ? Ne disposait-il pas d’une armée qui venait de battre les vieux soldats de la Prusse et de la Russie, et qui était renforcée de près de 200,000 hommes ? N’avait-il pas son merveilleux génie ? C’étaient là des illusions qu’au milieu du trouble des angoisses inséparables d’une situation aussi violente il se plaisait à caresser. En réalité cependant, jamais il ne s’était trouvé en présence de difficultés plus grandes : les périls qui le menaçaient étaient immenses, et sa position s’aggravait chaque jour.

L’armée qu’il avait rassemblée sur les bords de l’Elbe avait un aspect magnifique, elle ne comptait pas moins de 350,000 hommes ;