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fait des efforts inouis, mis sur pied toute sa population virile, prodigué toutes ses ressources : était-il admissible qu’elle se résignât au triste sort que paraissait lui destiner l’Autriche ?

Lorsqu’après les grandes journées de Hohenlinden, d’Austerlitz, d’Iéna, de Friedland, de Wagram, Napoléon dictait la paix, la véritable garantie de l’exécution de ses conditions résidait dans l’épuisement des vaincus ; mais au mois d’août 1813 il n’y avait, à vrai dire, ni vainqueurs, ni vaincus. Des deux côtés, au contraire, il y avait un développement formidable d’énergie et d’armemens. La paix, si elle était signée, séparerait les combattans dans le paroxysme de leur force et de leur fureur guerrière. Parviendrait-elle à calmer les ressentimens, à désarmer les haines ? Les sociétés secrètes étaient plus puissantes alors que ne l’étaient M. de Metternich et l’empereur François. Quelles facilités ne trouverait pas l’Angleterre pour envenimer toutes les inimitiés, enflammer les ambitions non assouvies, surexciter les vanités nationales blessées et rallumer partout le flambeau de la guerre ! L’Autriche serait-elle assez énergique et assez loyale pour nous aider à combattre ces nouvelles tentatives d’incendie ? Mais elle-même n’avait avoué dans son ultimatum qu’une bien faible partie des désirs qui la tourmentaient. Avait-elle donc renoncé à cette Italie pour laquelle, depuis quinze ans, elle avait versé tant de sang, et n’y avait-il pas, dans l’antagonisme invétéré de ses intérêts et des nôtres sur ce point du globe, un obstacle insurmontable à une longue et cordiale entente ?

Maîtres d’une partie de l’Allemagne, nous retenions dans nos liens fédératifs la Saxe, la Bavière, le Wurtemberg et tous les petits états groupés sur la rive droite du Rhin ; leurs contingens formaient une partie essentielle de la grande armée. Signer la paix proposée, c’était tout à la fois perdre, dans le présent, des alliances précieuses, diminuer considérablement le chiffre de nos forces et accroître dans la même proportion celles de nos ennemis futurs. Nous occupions des positions militaires incomparables : Dresde, dont nous avions fait un vaste camp retranché ; Kœnigstein, où nous avions jeté un pont fortifié, et toutes les places de l’Oder et de l’Elbe. Nous avions les clefs de tous les passages et de toutes les routes ; nous pouvions manœuvrer librement entre les deux fleuves, menacer Berlin et Prague, tenir divisées les trois grandes armées qui s’avançaient sur nous, les battre successivement, et suppléer ainsi, par la souplesse et la vigueur de nos coups, à notre infériorité numérique. Il avait fallu tout le génie de l’empereur, dix années d’efforts héroïques, de luttes gigantesques et de victoires pour conquérir ces positions. Renoncer à tout cela, y renoncer après avoir battu nos ennemis, et revenir en France sans même y rapporter, comme compensation, le bienfait d’une paix continentale