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de se montrer prêt à croiser de nouveau le fer avec l’Autriche, d’éviter par-dessus tout de laisser s’engager aucune question de fond, de gagner du temps et d’épuiser les dernières chances de s’arranger directement avec l’empereur Alexandre. S’il devait renoncer à toute espérance de ce côté, il lui resterait le parti extrême de se retourner vers l’Autriche ; Il aimait mieux céder à l’Autriche seule traitant directement avec lui qu’à l’Autriche réunie en congrès à ses ennemis. Il trouvait cette attitude plus digne et plus ferme.

Nous nous expliquons les sentimens de légitime fierté qui déterminèrent l’empereur Napoléon à adopter ce plan de conduite. On ne saurait trop le redire, ce qui venait de se passer à Reichenbach et à Trachenberg avait rempli son cœur d’amertume et l’avait jeté hors de mesure. Un tel système présentait cependant des côtés très périlleux. C’était de la diplomatie plus hautaine que fine, plus faite pour intimider que pour rapprocher. L’idée fixe de Napoléon était toujours de renouveler la scène de Tilsitt. La paix, qu’il désirait avec passion, ne lui semblait vraiment possible et honorable qu’au moyen d’une négociation directe avec le tsar. Toute son attention était concentrée sur l’espèce de congrès militaire réuni à Newmarck ; c’était de Newmarck bien plus que de Prague qu’il attendait des indices significatifs des dispositions de la Russie. Malheureusement il poursuivait un fantôme : la haine contre sa personne, l’impatience d’anéantir la suprématie de la France, avaient remplacé dans le cœur de l’empereur Alexandre l’admiration et la sympathie d’autrefois.

D’un autre côté, les circonstances avaient donné à l’Autriche une grandeur de situation incomparable ; elle se voyait constituée en quelque sorte le vengeur des nations opprimées. Tous les cœurs et tous les bras étaient tournés vers elle ; elle était bien réellement maîtresse de la situation, et puisque nous devions toujours finir par en référer à son arbitrage, le plus sage et le plus sûr eût été de ne pas attendre le dernier moment pour nous expliquer avec elle. La conclusion de la paix était une œuvre si compliquée et si épineuse, le temps fixé pour l’accomplir tellement court, que la prudence conseillait de ne pas perdre un instant : c’était une chose très différente d’avoir vingt-huit jours pour négocier ou de n’en avoir que douze, et il ne fallait pas nous donner vis-à-vis de nos ennemis et du médiateur des torts de forme dont ils ne manqueraient pas d’abuser pour dénaturer nos intentions. Nous qui voulions la paix, il ne fallait pas nous donner l’air de la désirer moins que nos ennemis, qui ne la voulaient pas. L’important surtout était de ne point leur laisser le champ libre à Prague, de ne point nous isoler de l’Autriche, que nous avions tant d’intérêt à ménager ; il ne fallait pas non plus prodiguer à la Russie des avances auxquelles elle ne répondait que par ses dédains, et ne point lui fournir par là un moyen de nous aliéner