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l’Autriche les eût lâchement livrés au bras du vainqueur de Bautzen ? À l’heure suprême, eût-elle failli à elle-même au point de laisser échapper la plus belle occasion qui se fût encore présentée de recouvrer, les armes à la main, tout ou partie de ce qu’elle avait perdu dans les dernières guerres ? Le doute à cet égard était tout au moins légitime. Napoléon n’ignorait pas qu’en négociant et en signant un armistice, il allait donner à ses ennemis le temps d’appeler toutes leurs réserves, à l’Autriche d’accroître démesurément ses forces, aux trois puissances de s’entendre et de former une triple alliance contre laquelle il lui serait très difficile de lutter. Cependant tous ces périls, si grands qu’ils fussent, lui parurent moins redoutables que celui d’exposer sa jeune et bouillante armée au choc immédiat des forces réunies de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche. Une suspension d’armes lui donnerait le temps de concentrer sur l’Elbe les 180,000 soldats qu’il avait levés pendant l’hiver et qui venaient de compléter leur organisation, de renforcer ses armes spéciales, notamment l’artillerie et la cavalerie. C’était surtout le manque de cavalerie qui l’avait empêché de recueillir de grands résultats de ses dernières victoires, et il jugeait impraticable d’entrer en guerre avec l’Autriche, s’il n’était pas en mesure d’opposer à cette puissance de nombreux escadrons. Enfin l’armistice ouvrait à tous une chance de pacification. L’empereur Napoléon avait trop d’intérêt au rétablissement de la paix pour ne pas la désirer avec ardeur : il ne voulut point assumer sur lui la responsabilité d’un refus dont ses ennemis n’eussent pas manqué d’abuser pour le signaler à la réprobation de ses peuples et de l’Europe entière. Il consentit donc à négocier un armistice, et en instruisit le comte de Stadion. L’empereur de Russie nomma commissaire pour en discuter les conditions le comte de Schouvalof, le roi de Prusse le général Kleist, et l’empereur Napoléon le duc de Vicence.

Cependant les Français poussaient devant eux, l’épée dans les reins, l’armée des alliés. À chaque pas en quelque sorte, ceux-ci se retournaient, prenaient une fière contenance, comme s’ils avaient résolu d’accepter une nouvelle bataille, puis ils continuaient leur retraite, au grand dépit de Napoléon. « Comment, disait-il, après une telle boucherie aucun résultat, point de prisonniers ! Ces gens-là ne me laisseront pas un clou ! » C’est dans un de ces nombreux combats livrés par l’arrière-garde ennemie qu’un boulet perdu, après avoir tué roide le général Kirgener, alla frapper mortellement le grand-maréchal du palais, duc de Frioul. Un moment auparavant, il galopait à cheval sur la chaussée, à côté de l’empereur. Ce fut le duc de Plaisance qui vint annoncer à Napoléon cette triste nouvelle. « Duroc ! s’écria l’empereur, mais cela n’est pas possible, il