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Barclay de Tolly. À peine le nouveau généralissime eut-il pris connaissance de l’état des choses, qu’il déclara à l’empereur Alexandre et aux généraux prussiens qu’à moins que l’Autriche ne se prononçât immédiatement en faveur des alliés, ou que l’empereur Napoléon ne consentît à signer un armistice, il lui serait absolument impossible de tenir plus longtemps la campagne. Il manquait, dit-il, de manutentions pour nourrir ses soldats, d’ambulances pour soigner ses blessés, de cartouches pour se battre. L’Autriche paraissait animée des meilleures dispositions, mais elle ne donnait encore que des promesses ; le sort d’une grande armée ne pouvait rester subordonné à la décision d’une puissance temporisatrice et méthodique par principes comme par habitude, et à la conclusion douteuse d’un armistice. En conséquence il allait prendre ses mesures pour effectuer aussitôt sa retraite sur la Haute-Vistule.

À cette déclaration, tous les généraux prussiens, Blücher, York, Kleist, Gneisenau, Müfling, témoignèrent autant de surprise que de douleur. Le général Müfling parla en leur nom comme au sien. Il représenta au généralissime russe que le sort de l’Europe dépendait du parti que prendrait l’Autriche, que selon toute vraisemblance les négociations qui allaient s’ouvrir n’aboutiraient point à la paix, et qu’à l’issue l’Autriche joindrait ses armes à celles de la Russie et de la Prusse, mais que très certainement elle ne prendrait ce parti qu’autant qu’elle pourrait compter sur l’appui immédiat de l’armée des alliés ; qu’à coup sûr, si cette armée s’éloignait de ses frontières et la laissait abandonnée à ses propres forces, elle n’aurait point la témérité de se déclarer ; qu’il ne lui resterait plus qu’à se faire pardonner par la France ses velléités de résistance ; que dès-lors Napoléon s’attacherait à la poursuite des alliés, dégagerait aisément le grand-duché de Varsovie, et se retrouverait bientôt dans la même attitude de force et de suprématie que celle qu’il avait au commencement de 1812. Ces représentations n’ébranlèrent point la résolution prise par le général Barclay de Tolly. Avant de se dévouer aux intérêts allemands, il se devait, disait-il, à son pays ; il était responsable vis-à-vis de son souverain et de la Russie entière du sort de l’armée, et à moins qu’on ne réussît à conclure un armistice, il n’y avait de salut pour elle que dans une prompte retraite sur la Haute-Vistule. Les derniers mots du général Barclay furent : « Dans six semaines, je serai de retour ; en attendant, défendez-vous avec fermeté. »

La victoire remportée par nos armes à Bautzen avait donc produit un résultat considérable ; elle avait constaté une fois de plus l’impuissance absolue dans laquelle se trouvaient les Russes et les Prussiens de continuer seuls la lutte avec nous. Malgré l’énergie des passions