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étant très grande, il en résulta que lorsque ses divisions atteignirent Kœnigswartha, elles étaient déjà harassées. Dès-lors le moindre incident devait faire échouer tout le plan. C’est précisément ce qui arriva. Les alliés, en dirigeant contre la colonne de Ney les généraux York et Barclay de Tolly, ralentirent sa marche, et les divisions des 3e et 7e corps arrivèrent trop tard sur le terrain pour porter les coups décisifs. En outre, soit qu’il ne connût pas suffisamment son champ de bataille, ou plutôt que l’empereur, qui ne put lui donner d’instructions verbales, eût laissé trop de latitude à son initiative, le maréchal Ney manqua évidemment dans cette journée de coup d’œil et de précision. La mauvaise direction qu’il donna à deux des trois divisions du 5e corps fut une faute considérable[1], et Blücher put se dérober à ses coups sans qu’il l’eût seulement soupçonné. Par une bizarrerie singulière, et qui atteste le vice d’exécution de l’opération, ce furent les 65,000 hommes du maréchal, destinés à ramasser à Klein-Bautzen les débris de l’armée prussienne, qui eurent à combattre le moins d’ennemis, et qui firent conséquemment le moins de pertes. Des trois corps dont se composait la colonne, un seul, le 3e, avait été sérieusement engagé et avait payé glorieusement sa dette ; mais le 5e corps ne perdit que 261 hommes, dont 61 tués, et le 7e 400, tandis que le corps de Bertrand (4e) en perdit 6,813, dont 1,277 tués, ceux d’Oudinot (12e) et de Macdonald (11e), chacun environ 7,000.

Les alliés avaient déployé dans cette terrible journée du 21 mai une intrépidité froide et intelligente. De même qu’après Lutzen, ils se retiraient vaincus, mais non rompus, surtout les Prussiens, et dans une attitude de fermeté qui devait enhardir à Vienne les cœurs les plus timides. En définitive, le résultat le plus net de cette bataille de Bautzen, qui, si la grande manœuvre conçue par le génie de l’empereur avait été exécutée comme il l’avait conçue, eût mis encore une fois le continent à ses pieds, était de rendre l’Autriche l’arbitre suprême de la situation.


II.

Les journées du 18 et du 19 mai s’étaient écoulées sans qu’il eût été répondu à la lettre par laquelle le duc de Vicence avait sollicité l’honneur d’être introduit auprès de l’empereur Alexandre. Le 22 au matin, un parlementaire russe se présenta à nos avant-postes et remit à M. de Caulaincourt la réponse du comte de Nesselrode. Ce ministre l’informait que l’empereur Alexandre, quelque plaisir qu’il aurait eu à lui exprimer les sentimens qu’il lui conservait personnellement,

  1. Rapport du général Lauriston, commandant du 5e corps. (Dépôt de la guerre.)