Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/539

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

provoquer une contre-proposition, amener des explications et une entente. Napoléon était décidé, pour obtenir l’alliance de la Russie, à lui offrir les plus grands avantages. La Pologne n’avait pu servir pour la guerre ; il fallait qu’elle servît pour la paix. La pensée secrète de l’empereur se révèle tout entière dans les lignes suivantes :


« L’essentiel est de se parler : vous me ferez savoir du quartier-général russe ce qui aura été dit. En connaissant les vues de l’empereur Alexandre, on finira par s’entendre. Mon intention, au surplus, est de lui faire un pont d’or pour le délivrer des intrigues de Metternich. Si j’ai des sacrifices à faire, j’aime mieux que ce soit au profit de l’empereur Alexandre, qui me fait bonne guerre, et du roi de Prusse, auquel il s’intéresse, qu’au profit de l’Autriche, qui a trahi l’alliance, et qui, sous le titre de médiatrice, veut s’arroger le droit de disposer de tout après avoir fait la part qui lui convient. D’ailleurs, avant la bataille qui va être donnée, l’empereur de Russie ne doit pas se regarder encore comme fort engagé dans la lutte. Cette considération, que l’affaire de Lutzen ne peut détruire, doit porter ce prince à s’entendre avec moi, parce que cette bataille sera vraisemblablement très meurtrière de part et d’autre ; que si les Russes la perdent, ils quitteront la partie, mais en ennemis vaincus, tandis qu’en traitant aujourd’hui et en obtenant de bonnes conditions pour son allié le roi de Prusse et sans l’intervention de l’Autriche, l’empereur Alexandre prouverait à l’Europe que la paix est due à ses efforts, au succès de ses armes. De cette façon, ce prince sortira de la lutte d’une manière honorable, et réparera noblement l’échec de Lutzen. Tout l’honneur de cette paix serait donc pour l’empereur Alexandre seul, tandis qu’en se servant de la médiation de l’Autriche, cette dernière puissance, quel que fût l’événement de la paix ou de la guerre ; aurait l’air d’avoir mis dans la balance la destinée de toute l’Europe. La Russie ne peut avoir oublié la marche du contingent de l’Autriche dans la campagne précédente, et l’empereur Alexandre doit être flatté de pouvoir faire la paix sans le secours de cette puissance, qui, après avoir été si peu amie dans des circonstances difficiles, n’est entraînée que par un intérêt personnel à quitter les rangs de son alliance récente avec la France. Enfin l’empereur Alexandre doit saisir avec joie cette occasion de se venger avec éclat de la sotte diversion des Autrichiens en Russie. Ainsi, sans vous arrêter à telle ou telle partie des instructions, vous devez chercher à nouer une négociation directe sur cette base : Une fois qu’on en sera venu à se parler, on finira toujours par tomber d’accord.

« Harta, le 17 mai 1813. »


Le 17 mai, Napoléon était parti de Dresde, avait couché à Harta et avait rejoint le lendemain matin son armée, qui, à l’exception de la colonne du maréchal Ney, se trouvait réunie tout entière devant Bautzen. Les positions que les alliés occupaient étaient naturellement très fortes, et l’art n’avait rien épargné pour les rendre plus redoutables encore. Elles se composaient de deux lignes parallèles qui n’avaient pas moins d’une lieue et demie d’étendue. Au centre de la première était la petite ville de Bautzen, crénelée, retranchée et défendue par