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sous une grêle de boulets et de balles, les autres jettent sur l’arche coupée une arche provisoire et ouvrent ainsi le passage à toute l’armée. Découragé par tant d’audace, l’ennemi n’ose pas nous attendre, et, dans la nuit du 10 au 11, il évacue Neustadt.

La faiblesse avec laquelle le roi de Saxe semblait s’être laissé aller aux suggestions de l’Autriche et entraîner à Prague, le refus du général Thielmann d’ouvrir d’abord à Régnier, plus tard au maréchal Ney, les portes de Torgau, la certitude que ce général avait eu à Dresde même de fréquentes entrevues avec les souverains alliés, — tous ces faits avaient jeté dans l’esprit de l’empereur Napoléon des doutes pénibles sur la loyauté d’un souverain qu’il aimait et qu’il avait couvert de ses bienfaits : il était impatient de les éclaircir, et à cet effet il lui envoya un de ses aides-de-camp, M. de Montesquiou. Aux premiers mots qui furent échangés, cet officier put se convaincre que le roi, un instant ébranlé par l’irruption des armées russes et le soulèvement du peuple prussien, aujourd’hui rassuré par nos succès, nous restait fidèle et dévoué. Le roi de Saxe retourna immédiatement dans sa capitale, où l’empereur se trouvait encore, lui garantit la coopération de son armée tout entière, et ordonna formellement au général Thielmann de recevoir les Français dans la place de Torgau. Thielmann obéit, mais déposa son commandement, sortit de la place et mit son épée au service des ennemis de la France.

Napoléon avait déjà bien des raisons de soupçonner l’Autriche de nourrir contre lui de mauvais desseins. Bientôt la vérité lui fut révélée tout entière. Le roi de Saxe, au moment où il était parti pour Prague, avait quitté son palais avec tant de précipitation, qu’il n’avait pas eu le temps d’emporter ses archives secrètes. La correspondance de son ministre des affaires étrangères avec M. de Metternich y était restée ; l’empereur s’en saisit, la lut, et il y trouva à chaque page les preuves irrécusables que l’Autriche se présentait partout, à Dresde, à Munich, à Stuttgart, à Naples, sous les dehors empressés d’une amie de la France ; qu’elle invitait toutes ces cours à se grouper autour d’elle, à constituer une ligue de puissances neutres afin d’obliger les belligérans à faire la paix, mais qu’en réalité elle s’appliquait à lui dérober un à un tous ses alliés. Si après une telle découverte quelques incertitudes avaient pu subsister encore dans son esprit, les informations du roi de Saxe auraient achevé de les dissiper. Ce prince lui confia que le nombre et l’influence des amis de la France diminuaient de jour en jour à Vienne, que pour empêcher une rupture immédiate ils en étaient réduits à conseiller la médiation armée, et qu’à moins de remporter sur les alliés de grands et décisifs succès, nous devions compter que bientôt l’Autriche ne nous laisserait d’autre alternative que de subir ses conditions, ou d’entrer en guerre avec elle.