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patriotisme prussien en 1813 et les prodiges qu’il enfanta. Au moment où le général York donna le signal du soulèvement, tous les cœurs et tous les bras étaient prêts. Le gouvernement prussien avait estimé que la levée en masse régularisée par les dernières ordonnances porterait l’armée à 100,000 hommes ; mais ce chiffre fut bientôt dépassé, et le roi eut plus de soldats qu’il n’en pouvait armer et habiller. À la vue des populations se levant et courant aux combats au nom de l’honneur allemand, tous les peuples germaniques tressaillirent d’enthousiasme. Dans les pays compris entre la Vistule et le Rhin, il n’y eut pas une ville, pas un hameau qui ne fussent disposés à prendre les armes pour concourir à la délivrance de la commune patrie. Les gouvernemens fidèles encore à l’alliance de la France furent dénoncés par leurs propres sujets comme traîtres à la cause de l’Allemagne ; le vide se fit tout à coup autour d’eux, et les émissaires du tsar, partout répandus, ne surent que trop bien exploiter cette impopularité du moment. M. de Metternich, qui voyait l’exaltation populaire déchirer une à une toutes les mailles de la trame qu’il avait tissée avec un art si laborieux, manifestait un véritable désespoir. Le 19 février, il disait au comte Otto avec une émotion qui avait toutes les apparences de la sincérité : « La Silésie est en proie à la plus terrible agitation ; il en est de même de la Bohême ; si la Silésie s’insurge contre son souverain, c’en est fait, 100,000 hommes viendront se joindre aux Russes. La Westphalie s’agite ; dans le Tyrol, dans les anciennes provinces prussiennes de Baireuth et d’Anspach, sur la rive droite du Rhin, on signale une sourde fermentation ; partout l’incendie allumé par les Russes étend ses ravages. Je ne m’aveugle point sur les conséquences de ces mouvemens populaires : provoqués au nom de l’honneur et de l’indépendance de l’Allemagne, ils ne tarderont pas à briser tous les liens politiques et sociaux, et j’y vois les tristes présages des plus grands malheurs et de la ruine des trônes. Croyez que dans peu de temps l’insurrection de la Prusse s’étendra jusqu’au Rhin. »

Cependant Wittgenstein s’avançait lentement, mais sûrement, par toutes les routes qui conduisent de la Basse-Vistule sur l’Oder, et se présentait devant Newstettin, où Bulow avait établi son quartier-général. Les habitans de la ville allèrent à la rencontre des Russes, et les fêtèrent comme des amis impatiemment attendus. Quant au général prussien, il ne daigna même pas déguiser sa défection. Ses soldats et ses officiers ne joignirent les Russes que pour fraterniser avec eux, et dans de joyeuses libations célébrèrent leur rapprochement et l’union prochaine de leurs souverains. Les rapports personnels des généraux en chef prirent également, bien qu’avec plus de réserve, le caractère d’une parfaite entente.