Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/525

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venaient encore une fois d’en être dépossédées, et l’ennemi avait débordé de nouveau leur gauche. La présence de Napoléon au milieu du feu retrempe tous les cœurs. Il commande un nouvel effort et le dirige lui-même. Alors s’engage un des plus terribles combats dont les annales militaires aient offert l’exemple. Plus de 160,000 hommes se précipitent les uns contre les autres avec une inexprimable furie, et se disputent les débris fumans des trois villages. Jamais peut-être la valeur innée de notre nation n’a brillé d’un plus vif éclat. La plupart de ces jeunes gens qui bravent le danger avec tant d’héroïsme sont au feu pour la première fois. Leur impétuosité n’a de comparable que l’ardeur opiniâtre de la jeunesse prussienne. Des deux côtés, c’est une passion indicible de vaincre et un égal mépris de la mort. Enflammées par la vue de leur empereur, les divisions de Ney ont repris les villages ; mais les Prussiens et les Russes combattent, eux aussi, sous les yeux de leurs souverains. Cette colonne que rien ne décourage, que nous retrouvons toujours au premier rang, ce sont les soldats du général York. Ils font un suprême effort, et nous arrachent encore une fois les débris de Kaya, de Gross et de Klein-Gœrschen. Nos colonnes abîmées faiblissent et reculent ; l’instant est critique : l’empereur est à pied, au plus fort de la mêlée et au milieu de ses bataillons que décime la mitraille. L’épouvante et un grand désordre s’introduisent dans leurs rangs. Napoléon se jette au-devant d’eux, et, usant de subterfuge, il leur dit avec un calme simulé : « Où allez-vous donc ? Ne voyez-vous pas que la bataille est gagnée ? Allons, ralliez-vous là ! » Et il leur montre un arbre placé à deux cents pas de distance. À ce moment, on signale l’approche d’une colonne profonde, c’était la garde qui arrivait. La nouvelle s’en répand aussitôt. De tous les rangs comme de toutes les poitrines s’échappe ce mot qui est un cri d’espérance : la garde, la garde ! L’empereur met immédiatement, en première ligne deux divisions fraîches de la jeune garde que commande le général Dumoustier, les fait soutenir par les cinq divisions du maréchal Ney et par la vieille garde, confie la direction de cette redoutable colonne au comte de Lobau, et la lance contre les villages. La lutte recommence alors plus acharnée que jamais. Kaya, Gross et Klein-Gœrschen sont pris et repris plusieurs fois, mais ils nous restent enfin.

Cependant la bataille était loin d’être gagnée, et un nouveau péril se dressait à notre gauche. Il était six heures du soir. Wittgenstein venait d’embrasser une résolution désespérée. Il avait dégarni sa gauche, porté sur sa droite, à Eisdorf, toutes ses troupes d’élite, le corps entier du prince Eugène de Wurtemberg, les grenadiers de Konowitzinn, la majeure partie de sa cavalerie, 80 pièces d’artillerie, et dirigé concentriquement ces masses contre le flanc gauche du