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et la splendeur des étoffes. Plus habile que Masaccio dans le maniement du pinceau, il est souvent moins vrai et ne rend pas avec autant de précision le caractère individuel des physionomies, ou du moins ne reproduit pas aussi fidèlement le côté anecdotique des figures. Quant à l’expression du sentiment religieux, il est hors de doute qu’il ne l’a jamais possédé comme Giotto et Fra Angelico. Supérieur à ces deux maîtres dans la pratique de la peinture, il n’a jamais su se pénétrer comme eux du sens intime des épisodes bibliques ou évangéliques. C’est un fait que je me contente d’affirmer sans vouloir y trouver un sujet de reproche contre le maître vénitien. À l’époque où vivait Titien, l’étude des lettres païennes, très utile sans doute au développement de l’intelligence humaine, dont les bienfaits n’ont pu être contestés que par l’ignorance et la superstition, avait profondément altéré les traditions de la peinture byzantine, et la représentation des sujets religieux était livrée à la discussion comme la représentation des sujets profanes. À Dieu ne plaise que je conseille aux peintres de nos jours un retour violent vers Giotto et Fra Angelico ! Ce serait méconnaître les bienfaits de l’expérience ; mais l’histoire nous enseigne, et je suis forcé d’avouer que Giotto et Fra Angelico traduisaient l’Ancien et le Nouveau-Testament avec plus de ferveur et de naïveté que les maîtres venus après eux. Le problème à résoudre ne serait pas de les imiter, mais de s’associer à leurs intentions, en tenant compte des progrès accomplis dans la partie technique de la peinture, je veux dire dans l’imitation du modèle.

Rubens et Rembrandt relèvent de Titien, les esprits les plus sceptiques ne sauraient le nier. C’est un fait acquis à l’histoire, et qui peut servir à marquer la place du maître vénitien. Comme Rubens et Rembrandt ont joué un rôle immense dans les révolutions de la peinture, il est impossible d’accepter leur importance sans accepter en même temps l’importance de leur aïeul. Toutefois, comme l’école flamande et l’école hollandaise n’ont pas la même valeur que les écoles de Florence, de Rome et de Parme, nous sommes amené à conclure que Titien, aïeul et maître de Rubens et de Rembrandt, ne peut être placé sur la même ligne que Léonard et Michel-Ange, Raphaël et Allegri. Je sais que ce jugement pourra sembler téméraire à plus d’un lecteur, et pourtant je ne fais qu’énoncer le jugement de l’histoire. Il faut nier le sens du passé, ou donner à Titien le rang que je lui assigne. Le passé, je ne l’ignore pas, est soumis à des interprétations très diverses, et chacun, en proposant un sens nouveau, croit enseigner la vérité. Cependant la comparaison des faits ne tarde pas à faire justice des paradoxes, et je crois que l’importance accordée trop souvent à l’école vénitienne est aujourd’hui singulièrement diminuée. Pour les esprits qui ont suivi en Grèce et en Italie le développement des arts du dessin, il est évident que dans